« Il fait un temps de chien ! » « On me traite comme un chien ! » On les connaît, ces expressions, où les références aux meilleurs amis des hommes font état d’une situation de crise. Et les crises, Sidney Lumet les connaît bien. Ses films mettent souvent en lumière des personnages en crise, des jurés de 12 Hommes en Colère, en passant par le modeste flic de Serpico, jusqu’au malheureux Sonny dans Un après-midi de chien.
Les premières minutes augurent un braquage des plus classiques. On découvre l’intérieur de la banque, puis une voiture se gare devant, les précautions sont prises, le terrain est sondé, l’attaque est imminente. Mais voilà, ici, rien ne se passe comme prévu. Plongés dans l’égarement, vite dépassés par la situation, pris à leur propre piège, les bandits viennent les otages de leur propre braquage. Ce n’est plus la simple histoire d’un braquage qui tourne mal, mais la véritable mise en scène d’un drame social. Car, rapidement, l’attention du film va transiter de l’attaque vers la personnalité des braqueurs, leurs motivations, et toute la résonance de cette histoire dans la société de l’époque et d’aujourd’hui.
La problématique principale du film concerne la place des homosexuels, des transgenres et des transsexuels dans une société où ils sont encore très marginalisés. Le personnage de Sonny, d’abord braqueur raté, puis loser magnifique et, enfin, paria moqué et hué par la foule, cristallise tous les travers d’une société intolérante envers les homosexuels. Sa maladresse lui confère une fragilité attachante, mais elle offre aux employés de la banque et aux officiers de police une ouverture qui les incite à ne pas le prendre au sérieux, à l’infantiliser et à faire de son combat un sujet de ragots malsains. Dans le déroulé d’Un après-midi de chien, Sidney Lumet insiste fortement sur la place de monstres de foire occupée par les homosexuels, des humains comme les autres mais qui, une fois leur identité affirmée, ne sont plus les bienvenus dans la société. Et cela commence dès le début où, résignés à braquer une banque, ils plongent dans l’illégalité, métaphore de leur condition dans une société où l’homosexualité est encore presque un crime.
Dans Un après-midi de chien, Sidney Lumet tire à balles réelles sur une société fidèle à ses vieilles traditions et refusant de se remettre en question. Comme dans 12 Hommes en Colère, le cinéaste expose un microcosme révélateur, faisant fi des superflus pour mieux faire briller les acteurs et mieux faire émaner la personnalité de leurs personnages. Sa mise en scène, très rugueuse et allant à l’essentiel, décrit parfaitement cette idée de dégénérescence et de descente aux enfers vécue par Sonny et Salvatore. Al Pacino y livre ici une copie parfaite, comme d’habitude, aux côtés d’un John Cazale quasiment muet mais aux interventions remarquées et remarquables.
Un après-midi de chien est devenu, au fil des années, un classique du cinéma américain. Bien évidemment, la maîtrise de Sidney Lumet et la performance de ses acteurs sont au cœur du succès de ce film, mais c’est surtout le message qu’il adresse qui est remarquable, révoltant et mémorable. Car, si au milieu des années 1970, l’homosexualité était encore un sujet tabou, la discrimination qu’elle provoque est plus que jamais d’actualité, et c’est ce qui rend Un après-midi de chien aussi intemporel et encore puissant aujourd’hui. C’est un film qui appuie où ça fait mal, sans filtre, qui permet de prendre conscience, et qui mérite plus que jamais que l’on parle de lui.