Voilà comment est découpé le casting lors du générique de fin : "The Bank, the Law, the Family, the Street". Sidney Lumet brasse ces composantes dans un film de braquage politique très sophistiqué et sans maniérisme inutile.
La première partie est alimentée par une atmosphère électrique mais bienveillante qui ne laisse présager que la meilleure des tournures aux évènements notamment grâce au bon sens de Sonny. Al Pacino, maître parmi les maîtres se voit donner la réplique par l'étoile filante que fût John Cazale. Tous deux s'engagent dans des jeux d'acteurs qui donnent à voir des facettes du genre masculin aux antipodes l'une de l'autre. Si l'un (Cazale) est convaincu de sa détermination à fuir ou à en finir à travers des lèvres pincées et des yeux écarquillés, l'autre (Pacino) est plus indécis et l'on perçoit dans son regard les pensées s'entrechoquer témoignant de l'instabilité de son personnage : un être posé dans ce qui nous est montré mais explosif dans les souvenirs qui sont relatés de lui par ses proches.
Les femmes, un peu en arrière plan, sont tout aussi essentielles en ce qu'elles sont à la fois des ponctuations et des approfondissements du récit, que ce soit par leurs éclats de rire, leur maniement des armes déchargées pour tuer le temps ou encore leurs échanges avec Sonny pour ce qui est de sa compagne et de sa mère dans la deuxième partie du film. Certes le film est peut-être plus un film centré sur les hommes et leurs actes mais le réalisateur ne manque pas d'illustrer la force des femmes à travers notamment la résilience et le courage des otages. Le soin qu'elles portent à ce que tout se passe bien avec par exemple Maria donnant un chapelet à Sal (Cazale), certaine qu'il prendra l'avion pour la première fois, et qu'il avait fait part au préalable de son appréhension à cette première fois. Ou encore celle refusant d'être libérée pour rester prendre soin de celles qui restent.
La deuxième partie se passe de nuit, plus d'électricité dans la banque mais une atmosphère encore plus électrique. Se revèle alors ce que la pleine lumière nous cachait, en premier apparaissent les perles de sueur sur les visages des personnages donnant à voir un nouveau chapitre qui serait le négatif du premier. La bienveillance, désormais en retrait, laisse place à des jeux d'ombres qui ne se révèleront jamais vraiment pour certains. Trahison ou pas trahison ? Le film révèle alors toutes ses ambivalences figurées des plus belles façons dans ce qui n'était sûrement pas anodin à l'époque et probablement toujours pas aujourd'hui (ce qui fait encore l'actualité du film) : d'une part l'homosexualité largement suggérée de Sonny, qui a tout en même temps une compagne avec laquelle ils élèvent leurs deux enfants et d'autre part l'ambivalence du genre du personnage de Leon, le mari de Sonny, cet homme qui s'est découvert femme et qui effectuera une transition hors récit (toute l'histoire est inspirée d'une histoire vraie). Ce qui habite ce film est donc l'ambivalence, que celle-ci demeure ou qu'elle marque une transition, elle est sûrement l'une des caractéristiques les plus profondes de l'être humain. Pour ce qui est de la fin, sans rien révèler, il suffit de regarder Pacino dans ses yeux qui virevoltent entre ses pensées qui nous sont tues. En ne donnant aucune réponse sur les états d'âmes de Sonny en fin de récit, Lumet laisse, là encore, place aux interprétations psychologiques et donc à l'expression de l'ambivalence des spectateurs sur ce qu'ils pourraient comprendre.
Il faut aussi dire la même chose chose de la foule, aussi ambivalente en tant que masse, tantôt enivrante, tantôt griffante. Et puis les policiers méritent aussi d'être évoqués, à la fois professionnels et comiques, ils sont démangés du holster. Un film politique ! Ce sont toutes ces composantes qui font la richesse de ce film, sa sophistication. Pour ce qui est de la caméra, elle donne toujours à voir ce qu'il fallait voir, participant visuellement à l'expression de toute cette acuité psychologique, que ce soit en plan serré ou en plongée sur des foules fourmillantes. Et cela est suffisant pour dire que Sidney Lumet manque atrocement au cinéma.
En tendant un miroir à la société (the bank, the law, the family, the street), Sidney Lumet impose son reflet à celle-ci, composée de forces s'opposant souvent, chaque force débordant d'êtres ambivalents baladés par les évènements autant qu'à l'origine de ceux-ci, capables du meilleur bon sens et en même temps de la pire des crapuleries, que ce soit un gangster ou un flic. Certes un reflet incomplet car faire le tour de l'humanité en 2 heures et quelques est impossible mais un reflet pertinent, très ambitieux et universel. Dépassant le spectateur, si bien que le revisionnage est plus que permis, ce film est et sera encore longtemps une référence personnelle en ce qui concerne la quête de l'humain dans le 7ème art.