Ce film peut être considéré comme un film de synthèse sur les mois de mai et juin 1968. Godard réunit dans un terrain vague près de Paris, en juillet 1968, deux étudiants de Nanterre, où tout a commencé, et trois ouvriers de Renault, où tout s'est terminé dans une violente répression policière. Il s'agit de dialoguer « en tirant les leçons de l'expérience révolutionnaire ». Le dialogue est entrecoupé d'images des événements de mai et juin 68, certaines ayant été tournées par Godard lui-même. Le film est anti spectaculaire à un point vraiment inouï. Les dialogues sont souvent recouverts de voix off, citant des auteurs révolutionnaires, qui les rendent en partie inaudibles. La caméra est toujours fixe et les militants sont presque toujours cadrés de dos, sur les torses et les corps. Il s'agit donc ici d'enregistrer le réel en évitant tout effet esthétique. Il s'agit aussi de ne pas tout dire, de ne pas laisser tout entendre, pour laisser réfléchir le spectateur. Ce film peut être jugé insupportable et terriblement ennuyeux, il l'a été à son époque et cela ne peut être que pire aujourd'hui, maintenant que les événements sont passés. Mais on peut aussi, si on aime Godard et si on s'intéresse à son œuvre, le trouver extraordinaire. Car il ne faut pas oublier que, dans les années précédentes, Godard était une star du cinéma français et mondial, peut-être le plus connu des cinéastes au monde, même s'il n'était pas le plus vu, et cela même dans la presse people où son mariage avec Anne Wiazemski, petite-fille de François Mauriac, avait fait toutes les unes. Or, ce film témoigne du violent rejet par Godard de ce personnage de cinéaste star qui le dégoûte, au profit du travail collectif et militant, et donc de l'effacement complet de « l'auteur ». Le film ne comporte d'ailleurs aucun générique, ni de début, ni de fin. C'est aussi un rejet, pur et simple, du cinéma qui, déclarait alors Godard, « a été inventé pour déguiser le réel aux masses » et dans lequel « la bourgeoisie a créé un monde à son image ». Un film comme les autres n'est justement pas, un film comme les autres. Une telle radicalité ne peut que forcer l'admiration.