« Les seuls sentiments que l'homme ait jamais été capable d'inspirer au policier sont l'ambiguïté et la dérision… » (François-Eugène Vidocq)
C'est la préface de Jean-Pierre Melville (de son vrai nom Grumbach) dans le générique de ce film... Rappelons (Apprenons ?) que François Vidocq (1775-1857) fut successivement délinquant, forçat du bagne dont il s'évada, "indic", policier et enfin détective privé.
Après avoir été chef de la controversée « brigade de sûreté » de la préfecture de Paris il fonda une agence de détectives privés après avoir jeté les bases méthodiques d'investigations d'une police moderne...
Les aventures de flics, les récits d'hommes durs, sans pitié, Melville nage dedans comme un poisson dans l'eau... La période bénie de son existence, il l'avoue : c'est quand il fut militaire...
"Un flic" ? Reconnaissons-le : j'ai plus été tenté de le noter d'un six sur dix comme nombre d'agrégateurs, que d'un sept, mais j'eus trouvé incongru, voire ingrat de chipoter la notation posthume d'un homme qui a voué toute sa vie au cinéma et à ses treize films, dont celui-ci " est le chant du cygne mais qui est loin d'être son meilleur...
Réalisateur ? Une vocation qui l'a à tout jamais privée de paternité puisqu'il jugeait incompatible de mener une vie de cinéaste de pair avec une vie de famille, dans la mesure où il fallait tout sacrifier à son art de la pellicule..
Une vie ? Si courte d'ailleurs (1917-1973) A un de ses neveux étant passé voir la file d'attente du cinéma parisien où était distribué en avant-première "Un flic", il lui avait demandé où s'arrêtait cette queue... Et à entendre sa réponse pourtant pas si défavorable, il avait prédit : "Alors ce sera un échec !"
Échec quand même très relatif si l'on considère que ce film avait attiré lors de sa sortie 1 463 903 spectateurs, ce qui l'avait placé en 26° place du box office, loin derrière "Orange Mécanique" quiculminait alors sur le podium...
Pas trop surprenant non plus comme autocritique car Melville l'avouait lui-même : "J'ai pris le parti de ne jamais être satisfait de moi : situation commode !"
De fait, Melville était comme "docteur jekyll et mister hyde" adorable en privé, odieux et exécrable sur un plateau de tournage ! Il s'est fâché avec la plupart de ses acteurs et même Ventura ne dialoguait plus pour terminer ses enregistrements, que par l'intermédiaire d'un assistant...
Dommage pour "Un flic", l'ouverture du film semblait tellement prometteuse : les premières images sont superbes et créent une première approche du récit pleine d'angoisse, digne d'Hitchcock dans "Psychose"...
Ici, on n'est pas dans un vieil hôtel désaffecté et inquiétant parce qu'une autoroute l'a fait déserter des automobilistes de jadis, mais d'une banque du bord de la plage de Saint Jean de Monts semblant comme au bout du monde et loin de toute vie humaine...
Le temps est pourri, une mouette lutte contre les vents propulsant de gros nuages, un client est obligé de tenir fermement son galurin pour qu'il ne rejoigne les flots déchaînés...
Curieux ces trois clients attardés qui entrent silencieusement et à tour de rôle dans cette agence bancaire de la BNP de Saint Jean de Monts, peu avant sa fermeture, et qui ne suscitent aucune interrogation ni inquiétude de la part des employés... (dans la vraie vie, cette banque était un café) Les étages surplombant le sanctuaire financier sont aussi lugubres, désertes que les chambres de "Psychose" vues de l'extérieur... Sinistres sites.
Dehors, un automobiliste évolue lentement dans une voiture"Plymouth"... Je crois même que celle-ci était la réelle propriété de Melville qui était fada de tout ce qui était américain depuis son séjour là_bas...
Soudain brusquement, les trois clients discrets se masquent, sortent leur artillerie et entament un hold-up minuté comme un horaire de train, au moment où les rideaux métalliques de l'agence bancaire se ferment... Le suspense perdure et l'angoisse nous envahit, mais soudain, le caissier réussit à actionner l'alarme et à blesser gravement de son arme un des malfrats...
Lesquels doivent se replier en pleine tempête et qui, pour faire diversion, feignent une échappée par le train... mais fuient dans la réalité en voiture non sans avoir enterré leur précieux butin...
Quand même pas très crédible cette évasion ferroviaire....
Jusque là, les moments de l'aventure sont glaciaux, grandioses : parmi les meilleurs de Melville... Qui ne s'est d'ailleurs jamais encombré de détails superflus : à bien regarder les arbustes fouettés par le vent de la tempête, il ne faut pas être grand spécialiste des effets spéciaux pour découvrir que la dite végétation est secouée comme pruniers par des machinistes musclés, mais bien trop et pas dans le même sens que ne le ferait le vent !
Même chose pour le train : un 425 CV Renault pour un voyage jusque Paris depuis la province lointaine ? Pas très confortable...
Puis on ne sait trop pourquoi, Melville démarre un autre casse et un autre scénario qui s'éternise lui, passionne beaucoup moins au point de lasser par moments...
Incompréhensible et truffé d'erreurs ou d'abondance de détails aussi peu nécessaires qu'inutiles pour l'intrigue...
Par exemple sur l'art et la manière d'ouvrir une cabine de wagon-lit de l'extérieur !
En effet, dans le but inavouable de voler sa valise bourrée de drogue à un passeur se rendant à l'étranger en train, les malfrats de la banque ne trouvent pas mieux que de suivre nuitamment le convoi ferroviaire en hélicoptère, d'hélitreuiller un des leurs sur un wagon, lequel va voler la drogue et se ré-envoler par les airs...
Si vous ne croyez pas celle-là, je peux vous en raconter une autre... En effet :
- le vol de nuit non pré-déclaré d'un hélico eut été détecté par l'Armée de l'Air française rapidement... Je crois même que ce type de vol nocturne est interdit à ce genre d'aéronef...
Comme les voleurs le disent eux mêmes, le vol aura lieu pendant le survol de la ligne Paris-Bordeaux au niveau de Morcenx, sur la ligne droite la plus longue du réseau ferroviaire français...
Véridique puisque c'est même là que se sont déroulés les premiers records successifs de vitesse sur rails de la SNCF jadis avec les BB 9004 puis CC 7107 ! Au passage, on me souffle qu'on ne dit pas Morcense comme les comédiens, mais Morcinsse dans le jargon autochtone...
Tout ça est bien gentil mais la ligne étant électrifiée, je ne vois pas comment l'hélitreuillé aurait pu jouer à saute-mouton avec les caténaires lors de sa descente des airs sur le toit du train...
Bon je vous passe les autres détails, mais tout ça ne fait pas très sérieux quand on connaît le perfectionnisme du réalisateur...
Circonstance aggravante : dans la réalité, le conducteur de wagons lits veillait en permanence sur ses hôtes, fermait à clef tant les intercirculations de la voiture-lits qu'il avait en charge mais aussi les accès extérieurs à la clé de Berne : de vraies forteresses...
Bref il y eut quantité de moyens bien plus simples et moins coûteux de piquer "à la mûle" son précieux convoi !
Pour nous consoler, outre les belles américaines de Melville, on revoit avec convoitise ces superbes Mercedes qui ne ressemblaient pas encore à des crapauds victimes d'un crash, et on fait quelques incursions dans ce Pigalle des boites de jazz, puis de strip-tease pour touristes à plumer...
Melville aimait se promener dans ces lieux non pas à la chasse à la péripatéticienne (ou pute plus vulgairement et si vous préférez) mais pour se tremper dans cette ambiance, ce climat spéciaux et à nuls autres pareils qui n'existera jamais plus...
Quand on redécouvre cette brutalité policière d'alors et si virilement décrite par Melville, on se demande aussi comment ceux qui, en fustigeant dans nos années 2020 à tout bout de champ la Police, eut réagi à cette époque où c'était le premier ayant tiré qui survivait !
Est-ce ce donc ce film qui a entre autres entraîné la mort de Melville ?
C'est ce que prétend Jean-Paul Labro qui le connaissait bien, et qui lors d'un repas assista à son trépas... L'échec d' "Un flic" l'avait touché, meurtri : l'homme était plus sensible qu'il n'y paraissait malgré une carapace d'intouchable... Il ne crachait pas non plus à la bonne chère et l’embonpoint progressif fut-il léger, n'est guère favorable à la pérennité d'un cardiaque...
Or comme le rappelait un membre de la famille : dans la famille Grumbach on est tous cardiaques, et on en meurt jeune... Entre autres, le grand-père de Melville mais aussi son père frappé d'une crise cardiaque alors qu'il poursuivait un train... sont tous décédés jeunes...
Peut-être aussi que l'anéantissement du studio Jenner par un incendie, longtemps domicile et lieu de travail du réalisateur, le contraignant comme ici à tourner dans les studios de Boulogne, l'avait perturbé dans ses habitude et nuit sa créativité ?...
A moins que ce ne soit les prémisses du malaise cardiaque ?
J'allais en oublier le casting : pour un réalisateur, avoir Belmondo, Delon, Ventura (...) à son tableau de chasse était la promesse d'audience et une forme de reconnaissance (coûteuse) de la part de la profession de comédien. Le rôle semble taillé sur mesure pour Delon : c'est le cas. dialogues, attitudes de figure froids... Écrit par Melville pour Delon et seulement lui.
Drôle d'idée pourtant que cette distribution cosmopolite avec des acteurs américains inconnus, mais qui pourtant assurent. Des français eussent été plus attractifs ! Tous les spectateurs ne partageaient pas cette américanophilie bienveillante ou copinarde de Melville.
Encore plus bizarroïde cette présence comme "pot de fleur" de Deneuve ! Rôle proche de la figuration, mais à l'approche de la trentaine, les appels pour des rôles se raréfient et il est bon de se rappeler au souvenir du public ? Toujours est-il qu'elle réussit la performance de jouer encore plus faux que d'habitude. Dans un rôle il est vrai qui n'est pas fait pour elle : elle semble se demander ce qu'elle fait là ! On l'aurait mieux crue dans ce rôle un peu bourge de la femme de directeur de banque viré, qui eut d'ailleurs pu être plus développé. Mais tToujours cette fixation de Melville sur les personnages d'hommes, de virilité brute ! A-t-il voulu "s'offrir" Deneuve ? Etait-ce parce que ça faisait racoleur,joli sur l'affiche ?
Pourtant, Melville était un homme de cœur... A je ne sais plus quel réalisateur qui lui confiait avoir beaucoup de difficultés à finir son film, il avait proposé: "Si tu veux, demain on prend la Rolls et on vient te rejoindre sur la côte pour t'aider à terminer ça..." Chapeau l'artiste..."
Arte le 28.06.2023