On ne peut nier que le film use de ressorts narratifs classiques. L’omniprésence des médias, le jugement visuel des cas de conscience et l’imagerie des "mondes" propres à chaque personnages démontrent une certaine tendance au raccourci. Toutefois ces raccourcis sont criants. Il ne s’agit pas de montrer ce que les gens veulent voir, la violence, la haine, le combat, l’amour et j’en passe, mais plutôt des sentiments et atmosphères. La vie, telle qu’elle est représentée dans ce film, est un tracé tortueux. Une sorte de karma de la rage englobe les protagonistes. Entre dérive des persistants et abandon du revenant.
Tout commence au milieu des années 90. La guerre fait rage entre différents clans dans la banlieue parisienne. Revendications, insultes et points américains rythment les valses de l’alcool et de la drogue. Un monde en marge perdu dans un ensemble bien plus vaste que, fait intéressant, seule la télévision relaye. Les protagonistes ne sont connectés qu’à leur propre réalité. Vicieuse et sans concession celle-ci ronge leurs nerfs et leur cerveau. Notre "héros" fait partie du "clan" néonazi. Entre violences et beuveries il ronge son frein. Parents absents et honteux il se réfugie dans sa bande de potes. Tous devenus racistes et fascisants. Petit à petit quelque chose s’éveille en lui. Pour décomposer la narration nous pouvons opérer en quatre temps: violence et haine ; désespoir et angoisse ; bonheur et abandon; rage et monotonie. Des images froides, un cadre étouffant ou trop vaste, la perdition est le sujet visuel.
La violence et la haine rythment la première partie. Sortie dans les bars, bagarres et humiliations racistes. Les scènes chocs et trashs bouleversent ce déversement de violences. La mise en contexte est rude. Petit à petit on observe la rage, la haine et la tristesse de tous les personnages lors de ce premier acte. Perdus, quel que soit leur bord. Car quand mon titre parle de déshérités il s’agit bien de tous les personnages de ce film. Tous à l’abandon, perdus dans un océan de responsabilités ils ne peuvent que lutter avec les armes dont leur environnement les a équipés. Tout acte est une stimulation pour leur violence. Quelle soit physique ou verbale. La caméra et les cadrages sont étouffants, vagues et flottants. Malgré cet abîme vertigineux la chute ne vient pas, les personnages et leurs actes errent dans un brouillard d’émotions sur lesquels ils ne mettent pas le doigt. Il faut observer une mise en contexte dont le seul reproche que l’on pourrait lui porter est sa trop grande subtilité. Car ce qui parle le plus ce sont les images et ce que l’on voit c’est la violence. Pourtant la haine est partout et pour tout. Puis le choc. La fusillade laisse place à l’angoisse.
Dans un moment anodin, encore bouleversé par la haine, Marco sombre dans l’angoisse. L’aide d’un homme simple va le porter plus loin que le brouillard qui le couvre. Petit à petit il prend peur, sa haine se retourne contre ses amis. Finalement, ironie du sort (ou de Diastème) il a un enfant avec une femme invivable. Un de ses amis, castré, devient homme politique, un autre meurt et le dernier sombre dans la folie. Malgré son monde étriqué Marco s’en sort, il fait son acte de foi. Foi dans les gens, dans les hommes, dans son pays. Malgré la douleur, l’angoisse et le désespoir de la chute, Marco se relève et touche au bonheur.
Il touche au bonheur. Malgré une union difficile Marco persiste dans sa recherche de l’équilibre, pas la monotonie et l'ennui, mais tout simplement vivre heureux, c'est tout, sans haine. Il découvre la joie et la bonne conscience de l’aide et du don de soi. Il arrive à écarter les entraves de son monde pour en découvrir d’autres. Avec sa promenade dans la nature, avec sa vie en Guadeloupe ou sa fierté du travail bien fait. Mais c’est surtout son apaisement et la tempérance de sa haine qui parvient à lui ouvrir les yeux sur sa vie. Toutefois le bonheur ne peut exister qu’avec le malheur. Son passé le rattrape. Que ce soit le médecin qui lui conseille d’enlever ses tatouages, vestiges de ses errances de jeunesse. Que ce soit sa femme qui le quitte et lui interdise de voir ses enfants. Que ce soit ses amis qui partent, ou sombrent encore plus un par un. La haine, même pour un repenti, laisse des traces indélébiles. Et Marco l’a bien compris et calme ses émotions, il sait qu’il paye et qu’il doit continuer à payer. Comme deux vies en une, sa nouvelle vie paie la précédente. Mais Marco l’accepte. Le mal qu’il a fait est une plaie difficile à cautériser. Oui il n’y a pas que lui qui a souffert. Les gens vivent ensembles, ils paient ensembles. Il se retrouve seul à la mort de sa mère, sans famille, sans amis, sans personne, seul avec sa conscience dont il ne peut révéler le bouillonnement. Seul face au vide, les fondations de sa vie étant bâties sur des sables mouvants.
La rage revient. Difficile de s’en détacher. Quand il voit l’expression de sa haine repentie au premier plan, à la face du monde, il ne peut s’empêcher de la haïr. Il fuit, ou lutte contre elle. Il comprend. La peur est omniprésente et dans ce moment du film on le saisit de façon poignante. Marco a peur, Marco enrage, Marco est abandonné. Dans ce flot d’émotions négatives Marco vit dans la monotonie. Alors aurait-il du continuer dans sa haine? Cette haine qui donnait un sens à sa vie. Mais qu’est ce qu’un homme rongé par la haine? Alors il ne semble pas plaisant de sombrer dans la monotonie, dans l’oubli et l’abandon. Diastème est sans doute sévère en présentant la repentance comme une chute, comme une solitude. Sans doute est il extrême en laissant Marco seul au monde. Mais il s’agit d’une image travaillée. Marco est seulement le fruit de ce que le monde décide de laisser sur le bord de la route. Marco a prit la vie par les couilles, il les a laissées au bout d’une pique.
Je pourrai m’arrêter là, mais je pense que ce film peut être vu par chacun selon un point de vue différent. En cela se trouve la froideur du film de Diastème. Alors j’ai pu voir que beaucoup on était déçus après les 20 premières minutes du film. On a pu croire à un film coup de poing, un film violent et sans clichés. Mais ce n’est pas ce qui était voulu. Je pense que quelque part ce film fait écho à une polémique récente. « Français de souche », sans prendre parti pour quoi que ce soit (sachant la volatilité de ces expressions), je pense que cette expression pourrait désigner une chose propre à « Un Français » (je ne parle pas du film). Tout Français possède une chose, par ce que lui apporte son histoire et sa culture « française », il s’agit selon moi de la capacité de chaque Français à pouvoir faire son cas de conscience. Oui le Français, par le bagage culturel offert par son histoire et ses idées, peut réfléchir. Le cas de conscience est quelque chose qui est ancré dans la société et dans la réflexion française. Oui on râle, oui on est jamais satisfait, oui tout est mieux chez l’autre, ouin veut mieux et tout de suite. Mais c’est aussi une façon de remettre notre contexte en question. Certes le recul manque, mais il faut bouger et faire bouger et ceci est propre à la culture politique et émotionnelle française. Je ne fais pas preuve d’un chauvinisme exacerbé, mais je pense qu’avec la chance que nous avons de vivre en France nous pouvons faire preuve d’un esprit critique développé. Et il faut créer son opinion, travailler sa conscience, pour nager dans ce flot d’opinions et d’idées, que chacun choisisse ce qu’il veut, mais qu’il fasse cet effort de réfléchir et de sonder sa conscience. Finalement par tout ce qui est à portée de chaque homme, chaque français, il peut réfléchir. Malgré l’importance des émotions, et leur force, l’homme est aussi capable de réfléchir. Les émotions sont et doivent être bonnes, mais pas quand elles se nourrissent de la raison. Laisser ses émotions aller et venir est surtout permis à celui qui se connait et se fait confiance.
Pour conclure. Je ne sais pas ce que Diastème voulait raconter et quel sens il donnait à ses images et son histoire, mais ce qui est sur c’est qu’au moins son film touche au coeur et aux tripes. Il ne laisse pas indifférent, et il ne devrait pas laisser indifférent. Quel que soit le sujet, quel que soit l’opinion, chacun doit pouvoir en tirer au moins une conclusion agir et réfléchir sont deux choses bien distinctes qui pourtant ne vivent pas l’une sans l’autre.
Ils sont gentils les gens. Ils ont peur et ils sont gentils. Ils ont mal.