On sent, avec Un frisson dans la nuit, que c'était là la première réalisation de Clint Eastwood, forcément peu familier avec l'exercice de mise en scène. Très rétro dans sa manière de construire et de montrer son histoire, il représente le stéréotype du film à tension de son époque, avec des envolées cinématographiques laissant déjà présager la future grandeur de carrière de son réalisateur devenu depuis une référence, un incontournable.
Très classique, Eastwood filme le tout avec la personnalité des oeuvres des années 60; très plat, assez plan-plan, il se libèrera dans les moments de tension et d'autres de festival de jazz (véritable documentaire dans le film, qui jure avec la mise en forme du reste),semblant moderne et original seulement par ses quelques moments, trop rares, qui marquent véritablement. Il a, cependant, des difficultés pour filmer l'action : s'il excellera dans le western dès l'excellent L'homme des hautes plaines, le thriller à la Hitchcock (qu'on retrouve très souvent référencé dans ce Play Misty For Me) ne semble pas lui convenir totalement.
S'il se retrouve à déjà très bien filmer ses paysages, ses décors et ses personnages (notamment sa superbe coupe), Eastwood, s'inspirant de nombreux autres réalisateurs (outre Hitchcock, on retrouve également du Leone et du Siegel, mentor de l'acteur/réalisateur d'ailleurs présent dans l'oeuvre avec un rôle de barman conseillé), n'est pas encore à l'aise avec les scènes d'agression, de tension, même de folie.
En témoigne la première attaque au couteau qui, en plus d'être badigeonnée d'un sang rose qui coupe court à toute crédibilité, pâtit d'une mise en scène brouillone au montage bordélique, une fois encore faîte de plans trop classiques pour faire naître aujourd'hui la peur souhaitée. Il n'en sera heureusement pas de même avec la scène finale, Eastwood gérant visiblement beaucoup mieux les grands intérieurs et la nuit, quand il nous livrera une scène d'une intensité folle au suspens débordant d'efficacité, tenue avec talent par une Jessica Walter impeccable du début à la fin, terrifiante et perverse.
Si cette scène est des plus marquantes, c'est aussi du fait qu'Eastwood, surement désireux de briser son image de grand guerrier pratiquement invincible, se donne un rôle à contre-emploi : plus charmeur qu'autre chose, il campe ici un personnage sans grande force, qui ne sait pas plus se battre que la moyenne des gens qui ne savent pas se battre; un monsieur tout le monde en somme, un peu connard sur les bords mais jamais trop irrespectueux envers les autres, replacé dans sa position de héros aux belles valeurs par l'arrivée soudaine de son ex-femme, vectrice d'un long passage peu sensuel au bord d'une rivière, et de cette fameuse scène finale qui donnerait bien des cours de tension véritable à son fils illégitime, le pourtant très sympathique Liaison Fatale avec Michael Douglas et Glenn Close dans les rôles principaux.
S'il semble désormais un peu vieillissant, c'est plus à cause du classicisme de sa mise en scène que de la qualité de son écriture maîtrisée de bout en bout, qui s'attache bien à la psychologie de ses personnages, à leurs interactions entre eux, à leur passif et leurs agissements à venir, d'une logique imparable et soutenue de dialogues tous très convaincants.
Premier essai réussi pour Clint Eastwood à la réalisation, qu'il maméliorera grandement avec le film qui suivra directement, le fantastique et choc L'homme des hautes plaines, l'un de ses meilleurs westerns avec le terrible Impitoyable. Appréciable aussi pour l'exercice de style d'un jeune réalisateur faisant l'inverse de ce qu'avait pu donner jusque là sa carrière d'acteur, Un frisson dans la nuit dynamite et réinvente l'image d'une star incomparable en le faisant passer de tueur mutique à playboy vulnérable, donnant à voir un divertissement surprenant par l'absence d'héroïsme inconsidéré d'Eastwood, relégué au rang d'homme commun incapable des prouesses réalisées dans ses oeuvres précédentes.
Au travers de ses bien jolies images, Eastwood entame le début de sa carrière vers un nouvel Hollywood dont il saura parfaitement s’accommoder, notamment grâce à son nouveau personnage fétiche : L'inspecteur Harry.