Venu de Shanghai, Li Haofeng est à Yanji (Chine du nord), pour le mariage d’un ami qui épouse une coréenne. C’est l’hiver et son climat rigoureux, à l’image du ressenti initial de Li Haofeng, jeune homme mal dans sa peau. Anthony Chen, réalisateur originaire de Singapour, met en scène un réchauffement à sa façon.
C’est l’hiver à Yanji, une ville au nord de la Chine, à la frontière de la Corée. Venu de Shanghai pour un mariage, Haofeng s’y sent un peu perdu. Par hasard, il rencontre Nana, une jeune guide touristique qui le fascine. Elle lui présente Xiao, un ami cuisinier. Les trois se lient rapidement après une première soirée festive. Cette rencontre intense se poursuit, et les confronte à leur histoire et à leurs secrets. Leurs désirs endormis dégèlent alors lentement, comme les paysages et forêts enneigées du Mont Changbai.
A la réception du mariage – dans une ambiance coréenne typique – Li Haofeng (Liú Hào-Rán) se sent perdu et mal à l’aise, essentiellement par manque d’assurance. Pour profiter avant son retour à Shanghai, il participe ensuite à un voyage organisé permettant de visiter la région, très proche de la Corée. On l’a vu plusieurs fois répondre à des appels téléphoniques sur son portable pour dire qu’il s’agissait d’erreurs, alors qu’on lui signifiait qu’il n’avait pas honoré un rendez-vous médical. Lors d’une visite, il annonce à celle qui pilote le groupe qu’il a perdu son portable. Malgré la bonne volonté de Nana (Zhōu Dōng-Yŭ), le téléphone semble perdu. Mais cela éveille l’intérêt de la jeune femme qui invite Haofeng à dîner le soir, alors qu’elle devait déjà rejoindre son ami Xiao (Qū Chŭ-Xiāo) avec qui elle entretient une relation qui nous laisse dans l’incertitude, car Nana et Xiao ne semblent pas voir les choses de la même façon. Finalement, ne seraient-ils pas tout simplement sexfriends ?
Un peu coincé, Haofeng finit quand même par réaliser que Nana s’intéresse vraiment à lui, au point de rechercher des moments d’intimité de plus en plus poussés. A cette occasion, il découvre chez elle quelque chose d’inattendu : une vilaine cicatrice à la cheville qui d’abord le rebute. Elle le rassure d’une explication rapide, mais on comprendra plus tard dans quel genre de circonstances elle a pu être blessée. Mais, n’oublions pas Xiao qui ne se retrouve pas mis à l’écart. C’est un vrai trio façon Jules et Jim, film auquel Anthony Chen voue une véritable admiration, qui se met en place. Xiao est un jeune homme qui cache un manque de confiance derrière une attitude décontractée qu’il affiche aussi bien en famille qu’à l’extérieur. Ainsi, il ne s’investit que mollement auprès de Nana et il donne l’exemple de la nonchalance devant son petit frère qui n’en retient qu’une chose : à quoi bon travailler pour l’école ?
Un trio et des failles
Le film montre donc l’évolution des relations au sein du trio Xiao-Nana-Haofeng, avec une certaine ambiguïté. Ainsi, pourquoi Xiao accepte-t-il que Nana se rapproche de Haofeng sans se gêner ? Mon interprétation est qu’il sent qu’il n’a pas les moyens d’empêcher Nana de faire ce qu’elle veut vraiment. De plus, Haofeng ne peut rester à Yanji que pour un court séjour. Mais, bien entendu, le fait que Nana se rapproche d’un autre sans le moindre ménagement pour Xiao fait son effet dans le cerveau de ce dernier qui s’est toujours contenté d’un horizon limité, malgré une moto (certes peu fiable) qui lui procure de l’autonomie. Les failles de Nana émergent progressivement, celles de Haofeng seulement par sous-entendus. Concrètement, on le sent suicidaire, alors qu’il a visiblement une bonne place à Shanghai, dans la finance. Aux yeux de Xiao par exemple (qui ne connait que Yanji), cela lui assure un avenir enviable. Une belle scène nous fait sentir ce que Nana a perdu en venant s’installer à Yanji où elle a échoué en fuyant une situation dramatique. Mais sa blessure physique était-elle seule en cause ? On peut en douter lorsqu’on voit comment elle reçoit une ancienne amie qui l’a retrouvée suite à une véritable enquête.
Le chaud et le froid
Le froid de l’hiver à Yanji, on le sent dès la séquence d’ouverture nous montrant une équipe découpant de gros blocs de glace (qu’on retrouve plus tard dans une belle scène de labyrinthe très symbolique) sur la couche gelée d’un lac, avec le danger que cela représente. La glace, c’est aussi celle des glaçons que Haofeng croque régulièrement. Le froid est également bien présent lors de l’expédition du trio vers le Mont Changbai à la recherche du lac du Paradis (magnifiques paysages aériens de cette région), dans une contrée neigeuse qui nous vaut quelques péripéties notables, puisque de nombreux dangers émergent. Et si le froid est également dans les cœurs au début, le réalisateur montre ces cœurs capables de s’enflammer. D’ailleurs, le chaud est présent dans cette boîte de nuit où on observe les uns et les autres s’agiter dans une ambiance très colorée et bruyante, bien qu’impersonnelle. Quels seront les effets de ce réchauffement ?
Un film à interpréter
Présenté à Cannes (section « Un certain regard » 2023) Un hiver à Yanji représentera Singapour aux Oscars 2024. Dans ce film, Anthony Chen donne beaucoup à observer, aussi bien du côté de ses trois personnages principaux que du côté de la région où ils évoluent. Mais, on peut regretter qu’il se contente de suggérer certaines pistes et nous laisse avec pas mal d’interrogations au moment de conclure son film. On note que le réalisateur de Ilo ilo (2013) et Wet Season (2019) aime la confrontation des cultures. Ici, il situe son intrigue en Chine, dans une région où résident de nombreux coréens. Mais il se contente de montrer des touristes venus de Corée pour retrouver leurs traditions, sans qu’on comprenne les origines de cette communauté locale. Il reconnaît que son état dépressif pendant la pandémie de Covid-19 se retrouve dans l’état d’esprit général de ses personnages et il dit aussi avoir voulu sortir de sa zone de confort en venant tourner à Yanji, dans des conditions difficiles. Le résultat mérite le détour, notamment grâce à des personnages qui bénéficient d’interprétations de qualité et une région dépaysante que le réalisateur utilise et montre de façon convaincante, laissant aux spectateurs une certaine liberté, en particulier celle d’imaginer le devenir de ses personnages.
Critique parue initialement sur LeMagduCiné