Deux titres de roman. "L'homme de dos"..."Faux-semblants". Dans l'intervalle délimité par ces deux titres se joue la vie, l'identité, d'un homme. Son existence, son mensonge. Mais où se situe la vérité de l'être-écrivant? Prise entre les deux feux de l'écrire et du paraître, l'interrogation existentielle se pose. Et donne naissance au thriller. Un thriller dont l'enjeu est de révéler peu à peu qui est ce jeune auteur en mal de reconnaissance ou plus exactement de nous montrer, à la manière des tragédies antiques, par une forme de catharsis, comment un enchaînement implacable d'événements révèle le héros à lui-même.

Extérieur nuit. Une route. Contre-plongée sur les feuillages des arbres bordant la chaussée. Les feuillages défilent. Vite. De plus en plus vite. L'homme au volant a le visage crispé. Mur de roche. Trou noir. Changement de décor : contre-plongée sur de hauts bâtiments. Barre d'immeubles. Une fenêtre perdue dans l'anonymat de la cité. Un homme, de dos, devant l'écran de son ordinateur. Titre du roman qu'il est en train de finir : "L'homme de dos". Début percutant ( pas de générique d'ailleurs ); le ton est donné. Le spectateur s'interroge, espère peut-être : la 1ère scène, c'était une péripétie du roman écrit par ce jeune homme? Et nous voilà pris dans les filets de la curiosité.

Ensuite, un passage plus banal, pour expliquer la situation initiale du récit. Peut-être aurait-il pu être raccourci, pour rester dans la tonalité efficace et prometteuse du commencement? Pour résumer, un jeune manutentionnaire rêve de devenir un écrivain célèbre. Il écrit, mais on comprend vite que ses manuscrits lui sont systématiquement retournés, sans suite, par les éditeurs. Par hasard, il assiste à un bout de conférence donné par Alice. Coup de foudre. Mais comment exister aux yeux de cette jeune femme belle, brillante, riche? Le Destin lui offre une opportunité sous la forme d'un carnet de moleskine oublié, rempli des griffonnages talentueux d'un appelé à la Guerre d'Algérie, désormais décédé. Puissant. Mathieu n'hésite pas à recopier le texte et à le signer de son nom. Et récolte le prix littéraire dû à un autre. Et conquiert le coeur de sa belle. Fin de cette 1ére partie.

Récit d'une imposture littéraire donc? Oui. Et non. On songe évidemment à Romain Gary alias Emile Ajar alias... qui est d'ailleurs l'auteur de référence de Mathieu et fait une apparition ( par le vecteur d'archives de l'INA ) dans le film. Sauf que là, en "empruntant" le manuscrit d'un mort, et en le brûlant pour faire disparaître toute trace de son forfait, notre jeune homme a vendu son âme au Diable et mis le doigt dans un engrenage qu'il n'imagine même pas.

Dès lors, la machine trop bien huilée se grippe. Le thriller démarre. Au son d'une petite musique lancinante, carrément flippante, et qui ne nous lâchera plus. Acculé, dos au mur, Mathieu fait tout pour sauver son image, son couple, pour survivre. Le film louche habilement du côté du film noir américain, instaurant un suspense haletant, oppressant, et jonglant avec les codes du genre. Intéressant car lorsqu'on croit avoir affaire à une scène-cliché qui serait le fruit d'une forme de facilité paresseuse ( par exemple la tache de sang qui s'élargit au plafond et dégoutte sur la nappe d'un blanc immaculé ), on s'aperçoit qu'elle n'appartient pas à la trame narrative du film, mais à l'imagination de Mathieu, voire à ses hallucinations, forcément formatées par ses références culturelles ( qui nous sont évidemment familières à nous aussi ). On assiste à une sorte de double jeu, dans lequel la réalisation du thriller s'extirpe des sentiers battus alors que son héros y joue sa vie, désespérément englué dans les archétypes du genre. Yann Gozlan nous invite à une lecture plurielle, à un regard multiple sur Mathieu et ses choix ( ou non-choix ) Une scène est à mon sens emblématique de cette démarche, lorsque Mathieu observe son reflet dans un miroir en forme de triptyque. Reflets qui semblent s'interpeler, s'interroger, se répondre. Triple vérité de l'auteur, du personnage usurpé, de l'acteur de sa propre vie en devenir. Vérité toujours, vue sous des angles différents. Du coup, et c'est un tour de force du réalisateur, le spectateur ne peut ressentir aucune animosité envers Mathieu. Bien au contraire, alors que nous devrions être méfiants, soupçonneux ( à l'instar d'un des personnages du film, qui incarne finalement la réaction saine, normale, que chacun devrait avoir ), et même horrifiés, nous nous prenons de sympathie pour ce jeune homme, nous compatissons. Nous n'avons aucun désir de le voir puni. Le châtiment interviendra pourtant, sous la forme d'un pied-de-nez du Destin, qui fera que s'il a récolté les lauriers d'un autre, Mathieu sera dans l'impossibilité de récolter les siens propres et sera condamné à ce qu'il pouvait craindre de pire pour lui... Mais je n'en dirai pas plus! Pas question de "spoiler" davantage!

Mathieu, c'est Pierre Niney, qui s'affirme comme un des acteurs les plus doués de sa génération. Capable de jouer avec la même sincérité, la même subtilité et la même puissance toutes les facettes de son personnage. On ne le quitte quasiment jamais ; le film repose sur sa prestation éblouissante. Les autres comédiens ne sont que des faire-valoir qui gravitent autour de lui ( quelques jolis passages avec Ana Girardot ). Déjà, dans "YSL" il m'avait totalement bluffée, et au vu de ce nouveau film, on ne peut que valider son César, et ... attendre avec impatience de le revoir sur les écrans! Il n'a que 26 ans et il place la barre très haut déjà!

Rien que pour lui, cet "homme idéal" mérite d'être connu!
Valerie_Favier
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le 19 mars 2015

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Valerie Favier

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