L'histoire du maître anonyme du monde en images. une seule évidence: sa vie qui continue.
Bruit silencieux des foules, mouvenents incessants de l'individu dans une ville plate, dans une ville absurde, intouchable, sans mémoire, sans frayeur, sans issue. Seule compte sa solitude. Son regard n'a pas d'importance, ce qu'il fait est faux. La solitude est le maître mot.
Dans une première partie, le montage est las de ce monde ancien comme le texte qui se retire; qui met la rumeur de fond Parisienne sous cloche au profit d'une voix intérieure. Celle d'un homme qui se replie dans une ville terne. Les chats sont gris même le jour, seule sa bassine rose. (laver ses chaussettes est une véritable cérémonie dans ce texte, ce que je trouve très intéressant d'un point de vue psychanalytique: serions nous tous obsédés par ce dans quoi nous mettons les pieds? (bref je divague parfaitement dans l'absurde, je salue et remercie ceux qui lisent cette phrase qui ne se terminera pas))
Dans une seconde partie l'homme qui dort tombe dans un trou noir, est enseveli par la grisalle, par la force centripète qui donne sens à sa vie qui n'a pas pas de saveur. L'image et le texte se décalent, le tout se poétise, peut être pour atteindre une essence, l'ordre du non-sens, l'unique vérité donc l'errance calibrée.
Puis le bourdonnement, les murmures, les mots. Les voix de la narratrice se superposent, les bruits de la ville s'y mêlent: ils deviennent le cri d'une ville pleine de trous béants, pleine de bouches ouvertes pour ne rien dire. Chaque visage porte un être au monde qui n'est pas: tous ces gens sont seuls face à l'indifférence, face à l'homme qui dormait et qui se croyait différend. L'homme se réveille dans une ville endormie, il sort de son rêve pour un monde bien plus cruel que celui qu'il avait quitté: la solitude ne lui a appris rien d'autre que la solitude n'apprenait rien. Son indifférence ne l'a pas rendu différent.
Ne lui soyons pas indifférents car il nous ressemble. Un homme qui dort est un cri du coeur, un chant lyrique, "l'odyssée presque immobile d'une libération" (claude Burgelin) qui est aussi la notre: cet homme nous ressemble et nous lui ressemblons, immobiles devant le monde qui s'offre à nous sur les écrans, depuis notre terrier, notre antre ou bien notre caverne. Un film d'errance et de composition dans une nouvelle vague attardée, soixante-huitarde et à jamais contemporaine.
C'est la fin d'une ère, un passage à vide: le texte de Perec porte les inquiétudes de cette fin des trente glorieuses, de ce retour d'une conscience collective que le libéralisme a éparpillée. Ce film le sublime peut-être: les individus se regardent et constatent le vide de sens qui les motive, qui les entoure, dans une chronique d'un été qui n'en est pas un, muette et égoiste.