...parce que ça caille aujourd'hui!
Le présentateur tv qui annonce le temps du lendemain devant son écran bleu d'illusionniste se trompe dans sa prévision, et se retrouve prisonnier de la journée qu'il redoutait comme un marronnier*. Chaque matin elle recommence à six heures pétantes sur un air de Sonny and Cher.
Quarante-sept ans après La vie est belle de Frank Capra, Harold Ramis, son acteur principal Bill Murray, et le scénariste Danny Rubin renouvellent l'exploit du chef d'oeuvre intemporel et absolu.
Ce film inclassable au premier abord, comédie loufoque et romantique, conte fantastique et philosophique, s'avère une merveille de tempo. Une heure trente-six sans une période de relâchement, ni une scène de trop, où l'on ne s'ennuie jamais en dépit du pari originel de la répétition temporelle. Merveille de générosité dans le soin apporté aux détails, il se savoure en période de Noël devant un bon feu,
Nous sommes plongés dans l'hiver de l' existence de Phil Connors, cynique et sarcastique qui n'aime personne à commencer par lui-même, et donne le change, cherchant à dissimuler le vide de sa propre existence. Prisonnier des apparences tels ces hommes du Mythe de la Caverne de Platon, prenant les ombres des objets pour les objets eux-mêmes, il joue avec conviction le rôle du sale con arriviste égocentrique méprisant ces ploucs de Punxsutawney avec leur journée de la marmotte à la con. Le décalage entre ce qu'il montre à la caméra et ce qu'il est dès qu'elle s'éteint nous invite à ne pas tomber dans le même piège que lui...
Puis la magie du cinéma se déploie, les multiples prises du tournage deviennent comme la matière vivante du film, exploitant à fond les virtualités du dispositif, une alchimie s'installe entre nous et lui dont nous sommes les seuls à savoir le purgatoire au fond duquel il se débat.
Dès qu'il se met à regarder-s'intéresser aux personnages secondaires qui l'entourent, ils redeviennent humains ou dépassent un peu leur fonction assignée, afin de l' aider à re-naître.
Certes, il y a le caméraman, type apparemment sympa mais terriblement premier degré qui ne saura pas regarder au delà des apparences, lui. Mais il y a surtout cette jeune productrice dont la fonction est de trouver des solutions, avant de devenir la solution.
Ce qu'il vit s'apparente à un cycle initiatique de la vie à partir de la naissance jusqu'à l'âge adulte.
D'aucuns l'aurait estimer à trente ans**.
On voit ainsi passer Phil Connors du stade régressif de l'enfance à celui adolescent des jeux dangereux à éprouver les limites, avant de sombrer dans le désespoir, pour renaître à cœur perdu se jetant tête baissée dans les bras d'entreprises de séduction calculée ( aimez-moi, puisque je ne m'aime pas) où il exploite le formidable pouvoir que lui offre sa malédiction, sans manquer de se cogner invariablement à la réalité comme une abeille contre la vitre au moment de conclure...
Combien de temps avant qu'il ne s'abandonne enfin, rende les armes -de guerre lasse- si on peut dire, il était temps, à ce qu'il n'avait pas essayé encore...s'oublier lui-même et ses petites misères pour se consacrer à celle des autres. Mettre son formidable pouvoir à leur service. L'utiliser pour se réaliser en tant qu'homme au lieu de geindre sur son sort.Renoncer à la conquête de sa belle pour être mieux conquis par elle. Faire tout ce que nous ne pouvons faire puisque nous n'avons qu'une vie et qu'il en faudrait au moins mille pour explorer toutes les possibilités qu' Elle
ne peut nous offrir.
Et c'est ainsi que Phil devint adulte, renonçant comme Georges Bailey à ses rêves de conquête , afin de se consacrer à l' essentiel. Mythe de Sisyphe vaincu, c'est quand tu acceptes ta condition que tu échappes à la malédiction de t'enfermer dans la répétition de ton schéma de vie.
Ce film s'avère en creux une formidable parabole de la dépression et du chemin à parcourir pour sortir de ce cercle vicieux. Tous à un moment donné de notre vie éprouvons ce sentiment d'être dans une impasse, prisonnier d'un routine, spectateur d'une existence qui nous échappe. Comme "La vie est belle" ce film propose une issue, un chemin vers la lumière, avec ce juste dosage entre humour, tragique et happy end qui est l'alchimie du petit chef d'oeuvre. Le miracle aurait été obtenu malgré le conflit opposant Ramis tendu vers la comédie, et Bill Murray défendant comme un beau diable son Phil pour en faire ce héros tragique de l' existence.
Ce film lui aura appris la patience, la persévérance, le goût de l'effort et la satisfaction de progresser pas à pas. Il aura reconquis peu à peu sa vie, son âme. Le sourire d' Andie Macdowell est sa récompense, que dis-je, sa délivrance.
Rita aura succombé par la force du terrible désir mimétique*** cher à René Girard en l'espace d'une journée, petit miracle au milieu de la ribambelle. Il aura fallu que tout ce qu'il a donné depuis toutes ces années lui soit rendu en une soirée, merci Capra, pour qu'elle cède à son inclination, lui à qui il aura fallu quand même un paquet d'années avant de se rendre à l évidence, il l'aime.
Ce splendide éloge d'un héroïsme quotidien, "ordinaire", celui de s'efforcer simplement de faire de son mieux, nous touche autant qu'il peut nous inspirer si nous le voulons bien. Ultime Remède à la mélancolie selon les critères d' Eva Bester.
Je ne me peux m'empêcher de rêver à l'idée que les gens pourraient avoir la curiosité après avoir visionné ce petit miracle de film, d'aller découvrir le chef d'oeuvre qui le hante "La vie est belle" et les autres issus du même moule de la screw ball comedy américaine en arrière-plan...Que de plaisirs ils dénicheraient dans ces caves remplies de trésors attendant d'être contemplés....
You got your babe, Phil.
Et nous avec.
Refonte de la critique le 20 décembre 2018, post-nouvelle séance au ciné-club.
*dans le jargon des médias, se dit d'un événement récurrent dont on fait un sujet une fois l'an.
**http://www.premiere.fr/Cinema/Un-Jour-sans-fin-a-25-ans-combien-d-annees-Bill-Murray-est-il-reste-coince
***tout désir est stimulé par l'imitation d'autrui, on subit l'attraction d'un être car il est désiré par autre que soi. La jalousie comme mécanique chez Proust, la haine chez Dostoïevski.