Les films de Philippe Grandrieux se livrent à chaque fois comme de singulières expériences esthétiques et sensorielles. Après un Sombre d'une violente beauté plastique et une Vie Nouvelle particulièrement atmosphérique le cinéaste propose Un lac : poème filmique proche du recueillement, à l'épure radicale et magnifique. Grandrieux serre de très près les trois personnages de ce conte pratiquement étranger au verbe, les filmant comme des icônes : chaque geste, chaque regard, chaque frôlement rend compte d'une douceur inédite dans un cinéma jusqu'alors habité par les visions morbides et les acoustiques agressives.
S'il est encore question de mouvements spasmodiques et de tremblements l'environnement de ce troisième long métrage invite à une accalmie relativement éloignée des transports effrénés, quasiment sexuels de Sombre et de La Vie Nouvelle. Objet autarcique, d'une beauté sourde et rabattue Un lac témoigne une nouvelle fois du travail considérable qu'effectue Philippe Grandrieux sur l'obscurité et la lumière sous-exposée. Le film, du haut de ses 85 minutes, semble couler de source, passant à une vitesse folle, efficace du premier au dernier photogramme. La caméra sismographique s'accorde avec grâce aux actions des personnages, opérant d'un regard à la fois bienveillant, caressant et comme en alerte. La réussite du cinéma de Grandrieux tient au fait qu'il saisit l'enveloppe des Sujets filmés en les captant avec une envoûtante promiscuité, pour mieux les incarner in fine. C'est beau, visuellement dense, et beaucoup trop rare pour ne pas être remarqué...