Jeunet, c'est beau.

C'est vert, c'est un peu filtre Instagram parfois, mais on lui pardonne, parce qu'il sait placer d'emblée une distance entre lui et nous, et nous rappeler tout le temps que c'est du cinéma, alors, on a le droit d'être heureux.
C'est plein d'effets rajoutés, c'est facile et rudimentaire parfois, mais on lui pardonne, parce qu'on est tant embarqués dans son immense poésie qu'on a le droit d'être heureux.
C'est vivant, c'est plein de mouvements de caméra violents parfois, mais on lui pardonne, parce que la vie a ses va-et-vient, qu'on va de revirements en revirements, qu'on vire et que c'est la vie.
C'est prévisible, c'est lent, c'est presque vide de scénario, mais on lui pardonne, parce que c'est la poésie d'un monde de petits instants de vie, de vies qui fuient, et en particulier lorsqu'une première guerre mondiale se déroule en même temps.
C'est mièvre peut-être pour les gens qui ont un cœur de pierre, mais on l'aime, parce qu'en quelques instants on sait tout d'un amour né à l'enfance, on sait tout d'un amour dont on ne sait rien au sortir de la guerre, on sait tout d'un amour qui a oublié avoir aimé.

Et le plus fort, c'est que Jeunet déplace son style oulipien d'inventaires à la Perec dans un contexte bien différent du Paris d'Amélie Poulain ; celui de l'horreur des tranchées. Il ne suggère pas. Il ne fait pas que dire. Il allie le mot à l'image, derrière ses petits bonheur il a compris le pouvoir de la monstration et le met en œuvre. Avec ce filtre vert qui impose une distance entre nous et la date de l'action, il filme pourtant chaque personne jusqu'à sa mort. Il cible quelques vies individuelles qui finissent par faire partie de la masse des millions de morts, qu'elles soient transpercées par les Albatros ou pulvérisées par un obus. Il rend hommage à l'homme avant le soldat. C'est ça, qui derrière l'apparente et heureuse légèreté de Jeunet, est terrifiant.

Un long dimanche de fiançailles est un des films de guerre dans lequel on voit le moins de soldats. Mais on y voit les hommes et tous les sentiments qu'une guerre peut impliquer. Il faut maintenant multiplier ce qu'on a vu de trois ou quatre personnages principaux par les millions de morts des guerres, et on verra ce que c'est vraiment, la guerre et la mort.

Un long dimanche de fiançailles a profondément compris ce qu'est l'alliance idéale du grotesque et du sublime.
Ashen
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films sur la captivité

Créée

le 9 juin 2014

Critique lue 1.1K fois

8 j'aime

Ashen

Écrit par

Critique lue 1.1K fois

8

D'autres avis sur Un long dimanche de fiançailles

Un long dimanche de fiançailles
E-Stark
9

" Si j’arrive au virage avant la voiture, Manech reviendra vivant... "

Jean-Pierre Jeunet est un réalisateur visuel, ce qui ne veut pas pour autant dire que ses films reposent uniquement sur cet aspect. Bien au contraire, le metteur en scène s'avère capable de raconter...

le 20 mars 2014

26 j'aime

Un long dimanche de fiançailles
Gothic
4

C'est long, dix tanches en chiens de faïence, aïe!

Ca fait du bien, parfois, quand un réalisateur nous épate avec une oeuvre pleine de vie, qui met de bonne humeur. Une oeuvre avec une âme, avec une esthétique. Une oeuvre sublimée par des acteurs qui...

le 1 mars 2013

17 j'aime

1

Un long dimanche de fiançailles
Fatpooper
4

Le fabuleux destin de Mathilde

Je crois que je ne peux plus le cacher : j'aime vraiment les films. Peu importe que je leur fiche une note de 1/10 ou de 10/10, ou que je puisse être énervé à la fin d'un visionnage tellement j'en...

le 30 juil. 2012

13 j'aime

3

Du même critique

Huis clos
Ashen
9

L'enfer, c'est nous.

" Oui, c'est Jean-Paul Sartre qui l'a dit, c'est trop vrai, l'enfer, c'est les autres, parce qu'ils sont méchants qu'ils font du mal et qu'ils devraient pas exister, Sartre c'est trop un rebelle t'as...

le 1 août 2012

55 j'aime

Journal d’une femme de chambre
Ashen
3

Journal de Léa

L'avant-première du Journal d'une femme de chambre a eu lieu au Mk2 Bibliothèque le 23 mars 2015. Benoît Jacquot et Léa Seydoux sont apparus sur scène trois minutes, puis ont disparu. Benoît Jacquot...

le 26 mars 2015

18 j'aime

2

Serena
Ashen
7

Sérénité

Serena, c'est beau. Il y a des paysages des forêts brumeuses dans les montagnes en Caroline du nord. C'est parfois très léché, l'architecture des villages et des maisons carrées aide beaucoup. Ça...

le 15 nov. 2014

18 j'aime

1