...qu'est-ce qui fait que ce film est pas mal ?


Déjà, pourquoi y être allé ?

Je n'aime pas les biopics - pas un fan inconditionnel de Dylan ni de Chalamet - pas grand chose à apprendre, l'histoire des débuts de Dylan, je la connaissais - alors, juste pour entendre les chansons en salle?

Peut-être.

...peut-être aussi parce que je m'attendais à un film centré sur Dylan ET Baez, alors que, pas trop, en fait...

...mais ça, c'était naïf, il fallait s'en douter : Dylan, c'est un peu Billy The Kid, le sale gosse bouffe tous les caramels et son portrait est en première page.

Toujours.




J'ai pleuré. J'avoue.

...souvent, beaucoup, surtout dans la première partie ( après, en quelque sorte, les jeux sont faits et le film déroule une évidence beaucoup moins touchante )

J'en ai été très surpris : pas des larmes de tristesse, des larmes d'émotion.

C'est grave d'être sensible à ce point, j'avais envie de dire "mais pourquoi je pleure ? ", ce qui se passait à l'écran ne le justifiait pas et par moment j'étais si secoué de sanglots que j'en avais honte - peur de géner les autres spectateurs.

Va falloir me faire soigner, ya un truc qui cloche - carburateur encrassé ?


( en même temps, un film qui commence par "So long, it's been good to know you" de Woody Guthrie, c'est un piège fatal )


Bon, assez parlé de mes glandes lacrymales détraquées, allons-y :

Les acteurs sont bien !

Oui, en guise de Dylan on a un chalumet, et une barbare fait la Joan Baez, ça ne devrait pas le faire, et pourtant si, ça le fait, c'est la grosse surprise du film.

Déjà, ils chantent eux-mêmes.

C'est assez dingue parce que, Dylan et Baez, sans être les meilleurs chanteurs du monde, ce sont deux voix, deux manières de chanter très très spéciales, très poussées dans un registre personnel - Dylan qui nasille, avec son phrasé et ses accentuations bizarres, ses interprétations qui vont du matter-of-fact pokerface à l'agressivité, ces moments où on a envie de lui dire "arrête d'accentuer chaque syllabe à coups de menton, t'es lourd", et Joan qui semble trop souvent démontrer sa capacité à étirer une note, avec son vibrato chevrotant - tous les deux envoûtants ou horripilants, et souvent on est envoûté ET horripilé en même temps ( c'est mon cas ).

Dans ces conditions, ça semblait mission impossible pour les deux acteurs, ça allait être pitoyable, tourner à la caricature, à l'imitation de chansonnier : Hé non.

...ça le fait.

( j'avoue, je n'ai pas remarqué tout de suite qu'ils chantaient eux-mêmes, je me suis dit "beau travail d'ingé-son, quand il passe de la parole au chant, on sent à peine la transition entre la voix de Chalamet et celle de Dylan" )

Je suis presque tombé de mon fauteuil quand j'ai compris. En fait, c'est avec Barbaro-Baez que j'ai commencé à comprendre, justement parce qu'elle n'imite pas le maudit vibrato.


Bon, bravo la performance, mais à part ça ?

Ils jouent super bien, très naturels, on y croit à 100%.

Sauf :

- L'impresario de Dylan: Fogler joue comme dans une comédie comique, il est hors-film.

- Scoot McNairy: on n'y croit pas un instant, sa façon de jouer Woody Guthrie malade-impotent est totalement ratée. Très dommage, ça revient souvent dans le film, c'est important, c'est nul, il est très loin de la personnalité de Guthrie. ( pour un Woody plus crédible, voir Joseph Boley dans Alice's Restaurant )


...mais, et l'histoire ? ça a beau être un biopic, il faut un scénario.


Là, je suis moins emballé, c'est un peu service minimum.


Il y a en gros trois axes :


1- les tout-débuts du gamin qui débarque. On nous refait une énième version de A Star Is Born : le jeune péquenot plein de rêves mais fauché et sans relations qui débarque en ville, et son talent éblouit tout le monde, surtout quelqu'un qui en tombe amoureux et l'aide à monter sur scène...

On pourrait citer tellement de films comme ça... et pas tous très bons. Pas forcément un pitch génial.

...sauf que les genres sont inversés, là c'est une femme qui aide un jeune homme. Mais bon...


2 - une histoire d'amour ( mais avec Dylan qui glisse sans cesse comme une truite entre les doigts des pêcheuses, on se demande toujours si on peut vraiment appeler ça comme ça ) qui, forcément, capote ( sans jeu de mots ).


3 - Le moment où il passe du folk acoustique au rock électrique, trahissant ses premiers fans, avec en point d'orgue le festival folk de Newport 1965, où il se fait huer et presque sortir de scène alors même qu'il est en train d'atteindre le sommet de sa gloire.

Visiblement, passé le charme du début, le scénario mise tout sur ce festival et ce moment d'extrême tension.

Mais est-ce suffisant ?


Bien sûr, les 3 axes ne se succèdent pas platement, ils s'emberlificotent :

Le thème sentimental est un peu bof , déjà parce qu'il est à sens unique : très vite on pige que Bob ne s'engage jamais vraiment et qu'il est égocentrique et assez indifférent/méprisant, ce qui désamorce d'avance les enjeux amoureux - sauf si le film avait choisi de le traiter en pervers narcissique ou ce genre d'option, mais ce n'est pas le cas: on constate, sans plus.


Je m'attendais à un film centré sur Dylan/Baez, en fait non, la romance principale concerne une Sylvie Russo, personnage fictif dont le nom est presque l'anagramme transparent de Suze Rotolo, qui a été la compagne de Dylan et l'a initié et dégrossi un peu ( musicalement et politiquement, s'entend ). On devine que quelqu'un a refusé que son vrai nom soit utilisé, ou qu'en en faisant un perso fictif, le film gagnait la possibilité d'inventer librement des scènes de cette histoire.

Au début de leur relation, en 1961 elle avait 17 ans et lui 20. On ne sent pas cette extrême jeunesse à l'écran.

Elle fait dans le film plus ou moins office de première amoureuse ( malgré les éternels zigzags dylanesques ) qui va être évincée par la liaison Dylan/Baez.

Fanning joue bien, mais son rôle n'est pas intéressant. Elle a surtout un moment fort, celui des assiettes ( j'ai adoré ça, ça console de la scène terriblement barbante des petites cuillers de Pete Seeger )


La liaison avec Joan Baez n'est pas passionnante non plus, dans le film on a un peu l'impression qu'il s'agit de quelques couchages par-ci par-là alors qu'ils ont vécu ensemble pendant plusieurs années.


( remarquons en passant que le film ne passe pas le test de Bechdel ! )


Surtout, le scénario escamote totalement le fait qu'en 1965 ( la dernière année du film ) Dylan a épousé secrètement Sara Lownds ( totalement absente du film ), femme mariée avec qui il avait une liaison depuis des années. Donc en plein dans le film. Probablement que ça ne collait pas avec la simplicité du scénario... mais ça n'aide pas à comprendre Dylan.


Le film évite aussi pudiquement l'addiction aux drogues dures, mettant sur le compte de l'alcool les dérapages du héros. ( idem pour Johnny Cash, d'ailleurs, présenté comme un simple alcoolo alors que c'était un junkie à l'époque )

Hé oui, l'alcool c'est plus consensuel !

C'est pourtant de notoriété publique et il ne s'en est pas caché : Dylan est devenu accro aux amphés et autres drogues dures, dont l'héroïne, exactement en même temps qu'il atteignait la célébrité, et ces addictions ont coïncidé avec son passage au rock-électrique; non, la star aux lunettes noires, à la voix pâteuse et aux caprices brutaux qu'il était devenu en 1965 n'était pas juste bourrée, c'était un junkie.

( la seule à peu près clean à l'époque, c'est Joan Baez, ça aurait fait sens dans l'histoire )

Ce n'est pas très courageux d'avoir escamoté tout ça dans le film, surtout que le scénar est un peu vide ( il y a des moments où on nous bombarde de chansons enchaînées à la suite, sans respirer, alors forcément on se demande si c'est pour boucher les trous ? ) ces enjeux durs auraiet été utiles - mais sans doute pas assez mignons.


C'est un autre des soucis du film :


Chalamet est très bien, mais un poil trop mignon.


What else ?


Ah, je confonds toujours le titre, je dis "A Perfect Stranger" au lieu d' "A Complete Unknown", c'est pourtant très différent : Stranger c'est un étranger, Unknown c'est quelqu'un qu'on ne connait pas, et c'est le principe du film, l'idée qu'à aucun moment on n'accède à la connaissance de qui est vraiment Dylan, au fond.

Mais ça, c'est raté, Chalamet ne dégage pas du tout cette impression d'inconnaissable, il lui manque une profondeur, un espace intérieur mystérieux ( comme dans Dune, d'ailleurs ).


Au générique de fin, Dylan aurait pu redire "I'm not there", je ne suis pas là.


Caramba ! encore raté !

moranc
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le 13 févr. 2025

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moranc

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