Auburtin est moins connu pour son Pont qu’il n’est inconnu pour avoir été l’assistant réalisateur de Pialat, Berri, Blier, et même avoir travaillé sur L’Homme au Masque de Fer (Randall Wallace, 1998). Depardieu a clairement voulu qu’ils soient plus ou moins complémentaires pour propulser leurs deux noms au rang de réalisateurs.
Chez Depardieu, il y a peut-être encore ce sentiment de millénaire qui se barre et qu’on veut retenir (ressenti chez Les Acteurs – Bertrand Blier, 2000). Si Bouquet, dans son rôle fort de femme résiliente à toute manipulation, lui dit qu’il forcit, lui répond que c’est dans sa nature, aveu presque hors-personnage qu’il se laisse parler lui-même dans son film. D’ailleurs, il est dans son élément quand les tomates de son petit jardin l’entourent.
Il se donne la part belle, mais ça ne veut pas dire qu’il se l’accapare : avec son confrère, il crée des gros plans vecteurs de toutes les émotions que la technique peut porter, comme si de multiples petites transgressions à la narration traditionnelle (voulues par créativité et non issues de la volonté de changer) piquaient la pellicule jusqu’à la faire passer pour un peu plus vieille qu’elle n’est. Car enfin, le jeune couple hippie formé par Stanislas Forlani et Mélanie Laurent est une histoire des années 70, pas 90.
Le fils du personnage de Depardieu, c’est le pont entre lui et sa femme, Carole Bouquet. Mais il est aussi le pont entre cette nouvelle époque et l’ancienne, à laquelle on rend hommage par la suspension du temps – en témoignent le cinéma que fréquente Bouquet « pour aller pleurer », fil rouge témoignant de l’inhabituelle façon de gérer l’avant-plan et l’arrière-plan de l’ambiance, et qui amène des rappels à de vraies perles nostalgiques pour un professionnel du septième art, notamment West Side Story et Un singe en hiver.
Bref, le cadre familial est drôlement cosy, pittoresquement daté et teinté avec charme de l’image d’un papa absent qui divise sa personnalité entre son amour et son travail, et épicé par un Œdipe jamais cité qui complète la fusionnalité ambiante. Derrière tout ça, Charles Berling est presque symbolique, il est le dérangeur, la raison d’être qui n’en a pas une elle-même.
Le pont entre deux rives n’est pas une création immense, il est de ces œuvres qui mettent un mystère en titre sans se dire qu’il doive signifier quoi que ce soit. Ses embranchements se révèlent vite sans issue pour nous et sans espoir pour des interprètes qui auraient volontiers donné plus (notamment Dominique Raymond), mais c’est aussi un film qui sait tisser une émotion à partir d’un fait tout bête, comme de traverser la campagne à vélo… C'est peu pour prendre la défense du Diable, toutefois.
Quantième Art