Un prince
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Un prince

Film de Pierre Creton (2023)

Floraisons et déflorations normandes

Dès son incipit, Un Prince s’enracine dans le pays de Caux en Normandie. D’abord sur sa côte, nous serons vite plongés dans ses terres. Ces paysages et maisons seront le cadre des monologues intérieurs de trois personnages : Françoise Brown, Alberto et Pierre-Joseph. Pierre-Joseph, jeune adulte, a une voix d’homme dans la fleur de l’âge, tandis qu’Alberto, vieil homme, surprend par son timbre juvénile. Voix et corps se confondent, mais aussi identités, puisqu’il est au premier abord compliqué de déterminer qui parle. Cette confusion ambiante est amplifiée par l’âge des interprètes et ceux de leurs personnages. Pierre-Joseph, malgré son jeune âge, paraît avoir 30 ans, ce qui accentue d’autant plus sa marginalité au milieu de ces adolescents. Il en aura bientôt 50, alors qu’Alberto et Adrien semblent stagner sur leurs 80 ans malgré les décennies qui passent.


L’immobilité du cadre et la lenteur du film rappellent le rythme et le mode d’existence des plantes. Les personnages, jamais plus rapides que la marche, s’enracinent profondément dans la campagne normande. Le film se révèle en herbier. Chaque plan semble avoir été précieusement cueilli dans le pays de Caux et délicatement disposé au sein de l’ensemble. De la même manière, chaque personnage, du fait de leurs immobilités et/ou lenteurs dans le cadre, sont semblables à des plantes cueillies et posées soigneusement dans le plan, comme entre deux pages blanches de l’herbier. Flore et hommes se confondent harmonieusement.


Ainsi, telle une plante, nous verrons Pierre-Joseph éclore puis peu à peu faner. Kuta, le prince indien habitant son château Renaissance, incarne de manière marquée cette confusion. Sa mère adoptive Françoise, dont les cheveux blancs sont assimilés à une corolle de fleur blanche par le montage, affirme qu’elle l’a arraché de sa terre natale pour le replanter en Normandie. Alberto nous explique quant à lui que Kuta, voyant des images de fleurs himalayennes, comprendra que celles-ci renferment une part profonde de son identité. Enfin, Pierre-Joseph, après avoir fusionné plantes et pénis par un jeu de surimpressions, portera son regard au niveau de la ceinture de Kuta pour y voir un spectacle étrange de bouquets de phallus.


De nombreuses scènes baignent dans une confusion érotique. La banalité des lieux et des gens est contredite par la voix off, qui viendra insuffler de l’érotisme là où l’image seule n’en laissait pas transparaître. Une tension sexuelle se manifeste à divers moments, que ce soit dans une cabane de chasseurs ou au cours de scènes de travail entre Adrien et Pierre-Joseph. Ainsi la vue de deux amis trempant leurs modestes morceaux de pain dans la sauce du bourguignon en présence d’une assemblée de chasseurs surprend par sa charge d’érotisme.


Pour qu’une belle fleur puisse s’épanouir, elle a besoin d’un sol de qualité, de minéraux, d’eau et de lumière. Pour Pierre-Joseph, son terreau familial empêche son bourgeonnement et son éclosion. Progressivement, le bourgeon sera reconnu par différents personnages, lui permettant de s’échapper d’un foyer familial étouffant et de prendre pied dans un terreau plus fertile à la vie et au sexe.


Un Prince présente une série de personnages si bien intégrés à leur environnement et à leur entourage qu’ils en deviennent chacun représentatifs et indissociables. Ils se confondent entre eux, avec la flore de la région, mais aussi la faune, puisque certains communiqueront par cris d’animaux lors d’une tablée générale réunissant tous les êtres chers au cœur de Pierre-Joseph. Kuta finira, encore dans un jeu de surimpression, par se fondre parfaitement au sol verdoyant de la nature normande sur lequel il repose paisiblement avant de disparaître définitivement et, comme d’autres avant lui, d’intégrer symbiotiquement ces terres.


Auteur : Léo Delourme

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le 11 déc. 2023

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