S'enivrer pour oublier est quelque chose qui est rarement conseillé. L'ivresse peut être bien sûr associée à ce besoin d'oublier, mais elle correspond aussi à une sorte d'esprit festif, à la libération de notre conscience qu'on laisse vagabonder dans des flots éthyliques et merveilleux. Oui, l'enivrement sert aussi à se libérer l'esprit malgré le tabou qu'il est devenu aujourd'hui.
Bien sûr, n'allons pas jusqu'à dire que l'alcool est le médicament de l'âme mais en (ab)user ne nous apporte pas que des malheurs non plus.
Lorsque j'ai vu ce film, j'ai bien pris conscience que celui-ci se passe à une époque différente de la mienne. Il correspond plus à une époque dont j'ai pu entendre quelques anecdotes sortant de la bouche de mes parents ou grands-parents, cette époque où consommer de l'alcool était un rite de passage à la vie adulte (du moins en province). L'alcool n'était pas aussi prohibé qu'aujourd'hui. On buvait tout les jours mais l'enivrement était léger, ce qui diffère complètement d'aujourd'hui où l'on se biture à vitesse express mais seulement le week-end. Avant on buvait pour le produit, aujourd'hui on boit pour ses effets et cette douce ivresse s'est transformé en soûlerie organisée amenant des comportements parfois dangereux et inquiétants. On ne sait plus boire aujourd'hui.
Ce film parle donc d'une époque où on savait encore consommer de l'alcool. Malgré tout on retrouve deux protagonistes qui ont de sacrés problèmes avec celle-ci. L'un a arrêté car sa mélancolie l'a emmené trop loin dans l'alcoolisme, l'autre s'est mis à boire à cause de cette mélancolie encore jeune et il boit jusqu'à déraison. Dans tout les cas, les deux sont arrivés à ce problème simplement en tentant d'oublier une partie de leur vie. Le hasard scénaristique veut qu'ils se rencontrent et cela nous donne un tête-à-tête entre un repenti et un en devenir, une confrontation directe entre un vieux singe et un qui apprend à faire des grimaces. Ce croisement est l'essence même du film qui vont amener l'un et l'autre à une introspection autour d'un ou plusieurs petits verres. Un petit rayon de lumière va rentrer dans la vie du plus jeune et va aussi affecter le plus vieux et va aider chacun à repartir sur de meilleurs bases. Ce rayon de soleil c'est un enfant, comme toujours.
Les deux acteurs y sont pour beaucoup dans l'efficacité et la beauté de ce film. Tout comme pour leur personnages, on assiste à une rencontre entre un vieux briscard du cinéma et une jeune pousse en devenir. L'un a écumé les films, l'autre débute, le parallèle est aisé. Grâce à Audiard, les dialogues sont aussi tonitruants et nous donnent le droit à des répliques cultes, à ressortir entre amis lors de soirées alcoolisées (mais pas trop), ("Si je buvais moins, je serais un autre homme, et j'y tiens pas !") ou dans d'autres situations diverses. Certaines scènes nous donnent envie d'oublier la réalité et de se retrouver avec eux, à parler du Yang Tse Kiang ou de matadors tout en s'enivrant doucement au rythme de la houle de Tigreville.