Après avoir remporté le Prix du Jury en 2013 pour "Tel père, tel fils", le cinéaste nippon Kore-eda remporte la Palme d'Or avec cette fable sociale touchante et acide. Une très belle surprise nous laissant le libre-arbitre de nos émotions tiraillées.
Une famille japonaise pauvre, vivant de petits boulots instables et de délits divers, accueille une jeune enfant qui était apparemment battue par ses parents. Ils semblent heureux, solidaires, soudés mais un accident lors d'un vol-à-l'étalage va faire imploser cette famille en révélant ses plus grands secrets.
C'est sans grande conviction que je suis allé voir "Un affaire de famille" car, tout bêtement, les films asiatiques dramatiques, en règle générale, ont une fâcheuse tendance à s'étirer en longueur sans se révéler très poignant. Ici, c'est le portrait d'une famille atypique et actuelle qui est dressée. Tout est filmé au plus près des membres de cette tribu recomposée, avec un côté presque documentaire. La différence de culture avec la nôtre est saisissante, tout comme la précarité dans laquelle ils vivent, si bien que cela suffit étonnamment à préserver notre attention malgré un manque de rebondissements. On fait connaissance avec ces personnages, sans être trop intrusif dans un premier temps, et, à l'image de cette enfant qu'ils accueillent, on adhère progressivement à leurs habitudes, leurs personnalités, leurs quotidiens respectifs. Très vite, on constate une osmose, un bonheur, une cohésion et une solidarité entre chaque membre de cette famille. On se dit que l'argent ne fait pas le bonheur, et que tant qu'on est entouré de ceux qu'on aime, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Le réalisateur réussit, avec précision et émotion, à nous greffer à cet amour, à nous les faire considérer comme nos semblables, et ce, malgré nos différences.
Mais toute la force du film se cache derrière ces apparences de famille classique. Au rythme des saisons, on les découvre, tout en se questionnant sur le sens de certains dialogues qui s'avèrent en fait plus complexes et ambiguës qu'ils n'y paraissent. On réalise que leurs délits quotidiens sont en fait profondément ancrés dans leur identité. Que derrière leur sourire se cache un passé emplit de crimes, de mensonges, d'immoralités. Le rire touchant de la première partie laisse alors place à un étonnement imprévu, rudement bien amené. On ne sait plus quoi penser, s'il faut prendre pitié ou les condamner : nos émotions sont vives et tiraillées. C'est magnifique de s'être fait prendre au piège de leur amour fabriqué, et en cela, Kore-Eda bouleverse et touche là où s'y attend le moins en dépeignant un portrait cruel et réaliste.
Au-delà de la mise en scène et du scénario alambiqué qui méritent amplement la Palme, il y a cette troupe d'acteurs et d'actrices inconnus en Occident mais au combien bluffante. Ils témoignent d'une profonde humanité et prouvent qu'un destin tourmenté qui a mal tourné ne terni pas la possibilité d'être heureux. C'est avec nuance qu'on va à leur rencontre et c'est avec nuance qu'ils jouent, tantôt avec pudeur, tantôt avec un lâcher-prise déconcertant. C'est à la fois gracieux, drôle mais aussi déchirant et inattendu. Notre moralité est mise à l'épreuve, certes, mais le réalisateur nippon stimule notre empathie et notre tolérance avec brio.