Chroniques d'un groupe de clochards ordinaires.
« C’est vous qui l’avez tué ! Vous l’avez tué ! Vous n’en vouliez pas ! (…), le spectacle est terminé ! » ; Cette réplique hurlée rageusement par le "Toubib" (Richard Bohringer) à l’encontre du public de passants qui assiste passivement au départ funèbre de « Mimosa » (Chick Ortega), restera comme un moment majeur du cinéma français, selon moi. La puissance de jeu d’un de nos meilleurs acteurs, fort en gueule, capable d’un jeu fiévreux qui le place assurément parmi les plus grands, quoiqu’en dise certains (mais ce n’est que mon avis), sert le propos de tout le film en cet instant précis : nous sommes tous responsables des SDF dans la rue et de leur condition de merde. Responsables, car ils sont vite mis de côtés, marginalisés. Responsables car nous sommes égocentriques. Et Vas-y qu’on les y laisse dans la marge parce que ça nous arrange bien de les laisser dans leur mouise. Responsables car on s'imagine qu'ils ont souhaité leur vie de merde (et mon cul c'est du poulet oui).
Tous les clodos, les sans-logis, les laissés-pour-compte, la populace ne les apprécie pas à leur juste valeur et c’est bien ce que leur reproche les concernés. Le public, tête basse, ne répond rien à Bohringer, car il ne peut rien répondre. Il rebrousse chemin, rompt la position avec lâcheté devant cet esprit fort, cet adversaire puissant, trop franc et authentique pour cacher sa langue dans sa poche. Empli de ressentiments amers, et triste d’avoir perdu un ami, le roi Richard vocifère comme au théâtre et son éphémère et fragile public ne peut que baisser la tête en signe de honte, et par dépit, par respect aussi, mais c’est trop tard.
Sous ses airs de comédie sucrée bon marché, « une époque formidable » est un drame. Un film puissant, politique, doté d’un regard lucide et grinçant sur la société française du début des années 1990. Les projecteurs sont braqués avec crudité sur les marginaux et leurs conditions de vies miséreuses, merdiques.
« Bertier » (Jugnot) est le prototype parfait du cadre sur le déclin dont notre « bonne » société française ingrate ne veut plus. Ayant vite tout perdu, ce Splendid homme au crâne dégarni rejoint humblement un groupe de pieds-nickelés truculents, attachants, sympathiques et vulgaires comme il faut (« On n’a même pas de PQ, comment veux-tu qu’on ait les papiers du véhicule salope ! »), mais également doté d'un esprit hédoniste. Une succession de séquences tantôt drôles, tantôt tristounettes nous font parfois rire jaune. On se prend d’amitié pour ces gars, plus humains et honnêtes que n’importe qui, que l'on suit au gré des rencontres, des squats, des bancs, des casses, des insultes.
Le regard acerbe de Jugnot (réalisateur) est vif et parfois tranchant : « Salauds de pauvres ! » hurle avec animosité une infirmière à l’encontre du groupe de clochards. Les dialogues sont magnifiques, et c’est ce que l’on retient surtout du film :
- Victor si tu fais ça je t’arrache les yeux !
- Tant mieux, comme ça je verrai plus ta gueule!
(Ah ah - énorme).
C’est une époque qui n’avait rien de formidable, mais qui avait au moins le mérite d’avoir un cinéma français digne de ce nom.