Le meilleur film du réalisateur Gérard Jugnot, et de loin.
Son grand mérite est d'avoir traité un sujet dramatique (la déchéance sociale) sur le mode de la comédie, en trouvant le ton juste pour rester réaliste et crédible d'une part, et vraiment drôle d'autre part. Une sacrée difficulté surmontée par Jugnot le funambule, qui traverse le film en marchant habilement sur ce fil particulièrement ténu.
On assiste donc à la descente aux enfers de Berthier le français moyen, qui perd brutalement son job, sa femme et son logement, pour atterrir dans le monde effrayant de la cloche, où il va faire la connaissance d'une bande de clodos pieds nickelés.
Il y là Toubib, le chef de bande intello, faux médecin mais vraie grande gueule (inoubliable prestation de Richard Bohringer) ; Crayon, le boiteux alcoolo mais sympathique (du sur mesure pour l'excellent Ticky Holgado) ; enfin Mimosa ("pas comme les fleurs, comme les œufs!") le cinglé peroxydé, prêt à dégoupiller à tout instant.
Alors évidemment, Jugnot idéalise cet univers beaucoup moins rigolo dans la réalité ; mais il n'oublie pas de placer ici ou là quelques vérités dérangeantes, sans pour autant tomber dans le misérabilisme.
On constate d'ailleurs avec amertume la pertinence et la modernité du propos dans notre société actuelle, une bonne vingtaine d'années plus tard. Je viens de le revoir, le film pourrait parfaitement avoir été tourné la semaine dernière.
Cela dit, "Une époque formidable" reste une comédie, et cette dimension-là s'avère très réussie.
Les personnages sont bien écrits et parfaitement incarnés, les dialogues d'une drôlerie et d'une justesse rares, les situations admirablement croquées : on rit et on sourit sans arrêt.
Et après s'être beaucoup marré, on est cueilli par l'émotion au détour d'une scène à pleurer entre Berthier et son beau-fils, suivie dans la foulée de l'accident fatal de Mimosa, qui voudrait tellement qu'on lui allume la sirène...
En étant capable dans un même film de faire réfléchir, amuser, émouvoir, Gérard Jugnot fait ici étalage de son savoir-faire d'artisan besogneux et humble, une leçon à retenir pour les auteurs de comédies populaires contemporaines.
Car pour parodier Francis Cabrel, qui signe la musique du film, on aurait parfois envie de dire que les comédies françaises, c'était mieux avant...