Il faut dire avant tout que la "matière première" de ce film est de qualité: "une étrange affaire" est l'adaptation d'un bouquin de Jean-Marc Roberts, "Affaires étrangères", prix Renaudot en 1979; Granier-Deferre, souvent scénariste de ses films, s'est entouré ici de Christopher Frank qui est loin d'être un manchot en la matière ("L'important, c'est d'aimer", "la dérobade", "eaux profondes", entre autres) et de Jean-Marc Roberts lui-même; Granier-Deferre comptait déjà, à l'époque, une dizaine de films derrière lui et des fameux ("le chat", "la veuve Couderc", "adieu poulet") et était passé expert en direction d'acteurs, de stars; c'est dire si ici il a su sublimer le jeu de Piccoli qui nous avait ravi au travers de nombreuses interprétations durant les années 70 chez Sautet, Ferréri ou Bunuel; Piccoli incarne magnifiquement ce patron énigmatique, autoritaire et charmeur à la fois, allant jusqu'à s'immiscer dans la vie privée de son nouvel employé modèle (et soumis) que joue Gérard Lanvin, lui aussi excellent. Les films de Granier-Deferre ont souvent porté sur des affrontements psychologiques, des rapports de force; c'est aussi le cas dans "Une étrange affaire" où Lanvin se trouve pris dans une espèce de conflit de loyauté entre sa femme (jouée brillamment par Nathalie Baye) et son nouveau boss, Piccoli donc; nous apprendrons quelques informations, savamment distillées au cour du film, sur la jeunesse des personnages de Piccoli et de Lanvin, lesquelles pourraient éventuellement nous donner une grille de lecture sur leur comportement réciproque. En plus de cela et même si ce n'est pas son sujet premier, "une étrange affaire" dresse le portrait d'un nouveau monde du travail qui se dessine à l'aube des années 80: la gagne, la compétitivité à outrance, une autre place consacrée au travail. Granier-Deferre a su très justement, grâce aux dialogues, aux gestes des comédiens, à leur place dans le cadre, montré ce rapport dominant/dominé qui colore le film d'une ambiance nauséabonde, malsaine et parfois à la limite du fantastique comme ce rêve éveillé de meurtre que fait Lanvin vers la fin du film. N'oublions pas les formidables Kalfon et Balmer dans des seconds rôles bien scénarisés.
Il y a des rediffusions à la télé dont on ne se lasse pas !