C'est sans doute cette donnée scientifique apportée par le film qui s'avère la plus aisément ré-utilisable lors d'un dîner au cours duquel vous vous aventurez à recueillir des avis sur la scène la plus marquante du film "Une femme d'exception". Par comparaison, le contre-argument empreint de lyrisme de Ruth Bader Ginsburg en fin de film fait pâle figure, tant il était attendu et prévisible ...
L'avantage d'un biopic, c'est que lorsque la famille de l'intéressé est derrière les caméras ou au soutien du projet par le biais de témoignages et autres fournitures de photos, pièces et récits en tout genre, on ne peut pas vraiment se tromper sur les faits et leur matérialité. L'intérêt du film réside alors dans la "mise en action" de ses souvenirs années 50 par le développement de l'aspect dramatique/romantique/juridique que permet l'écriture de dialogues et le travail des expressions faciales. Le genre cinématographique apparait alors délicat, particulièrement quand il s'agit de faire honneur à une figure connue, ici juge à la Cour Suprême des Etats-Unis.
Dans l'ensemble, le film réussit bien à nous instruire et appuyer les moments marquants de la carrière de RBG mais sans aucune valeur ajoutée sur la production, sans frisson ou scènes-clé qui feraient de ce film une production autrement mémorable que pour l'évaluation du % de chances de survie à un cancer dans les années 1950.
Même si RBG est la figure du biopic, son couple est assez négligé. On comprend rapidement que son mari était assez "unique" pour l'époque, la traitant comme son égal et l'encourageant à occuper des positions où les hommes étaient préférés (bien qu'une brève dispute sur son absence de réaction au machisme ambiant fut de rigueur afin de ne pas rendre le personnage trop lisse). Pour autant, il apparait assez transparent, à la limite de l'indifférent, seulement contrebalancé par la révélation de son cancer, rapidement expédiée, et dont plus aucune mention ne sera faite passée la tentative d'attendrissement par RBG de son potentiel futur employeur alors qu'elle enchaine les entretiens sans succès.
De même, la renonciation initiale de RBG à ses aspirations de grande avocate pour l'enseignement est passée sous silence et peu explorée, l'ellipse post-"ouvre le champagne et tais toi Martin, j'ai un job maintenant ok ?" permettant à sa fille Jane d'être l'élément déclencheur du réveil de la grande humaniste sommeillant en RBG par le biais d'une crise d'adolescence mêlée d'élans contestataires. La frustration de RBG-prof plutôt qu'avocate n'est palpable que pendant ses cours, qui servent littéralement de scènes d'expositions de jugements américains dont le récit aurait été autrement maladroit. Bien tenté, mais cela perd de sa saveur lorsque les étudiants dudit cours ne sont que prétexte à poser des questions servant à faire sortir ladite frustration du personnage. Un travail plus intime sur cette renonciation aurait peut être permis de mieux faire ressortir l'excitation et le chamboulement provoqué par le cas "Moritz" quant à la carrière d'avocate de RBG.
L'évolution et la préparation de l'affaire deviennent le point central du film, agrémentées de quelques scènes permettant de se remettre dans le contexte d'une Amérique sexiste, certaines assez subtiles et bien amenées (la fête au cabinet du mari) et d'autres dont on sent que la survenance, bien que sans doute fréquente également dans la réalité, n'a pour d'autre but que d'accélérer en 2 dialogues la progression psychologique d'un personnage (les ouvriers sifflant RBG et sa fille dans la rue).
Globalement, le film est intelligent et distille ses émotions au gré des scènes, permettant de découvrir la Ruth stressée (pendant le procès fictif), défiante (envers son ancien professeur et le doyen) et légèrement paumée (gérer sa fille), mais sans jamais aller plus loin que les faits en osant un dialogue ou un plan plus intime et personnel. De cette façon, les personnages apparaissent de manière générale assez lisse et prévisible dans leurs émotions (l'avocate Kenyon dont on insiste d'abord sur le caractère grincheux pour mieux rendre le ralliement à la cause "surprenant"), ce qui est dommage, à moins que l'on tente de se convaincre que les réelles personnes de l'époque n'ont jamais eu plus d'une seule discussion sur un sujet épineux avant d'être convaincus de la chose à faire ...
Pour autant, là où tout est censé culminer lors du grand procès, on se retrouve face à un schéma classique ("le héros se fait d'abord éclater et la situation est au plus bas puis contre-attaque avec majesté et l'emporte gracieusement") où la balance penche tellement en faveur d'une des parties que la seconde partie de l'argumentation de RBG, censée constituer le retournement spectaculaire attendu, apparait trop faible à l'écran, tant sur le forme que sur le fond, pour justifier un tel retournement ! En effet, le film nous fait comprendre que RBG se prend d'abord une monumentale claque dans la face par les juges lors de la plaidoirie, ne pouvant en placer une, tombant dans les pièges des questions du juge, bégayant et agressant le pauvre micro, de même que les tympans des juges.
Mais la réplique, qui n'est que la réponse à l'argument du gouvernement ici, ne rend pas réellement compte, du moins à l'écran, de comment un tel retournement d'affaire en faveur de RBG ait pu se produire. Tout d'un coup, les juges ne posent plus de questions alors même que RBG repart sur le même terrain qu'avant (quelle chance, elle peut donc monologuer pour plus d'effet dramatique!) et son argumentaire parait être plus ou moins celui de sa plaidoirie initiale, pas d'argument botte secrète ou métaphore particulièrement poétique au point donc de rendre crédible un renversement d'affaire, ce qui refroidit singulièrement la suite.
Le rapide récapitulatif de la suite de sa carrière et le visuel de la vraie RBG sont habiles et attendrissants. C'est donc globalement un contrat bien rempli, mais un film descriptif, sans réelle profondeur autre que le récit d'une histoire intrinsèquement riche.
Mais décrire n'est pas filmer. Décrire c'est instruire, mais filmer c'est aussi faire vibrer.