L'espoir, c'est probablement ce qui lie tous les protagonistes de l'histoire de la "Comédie érotique d'une nuit d'été" de Woody Allen.


A l'occasion du mariage d'un génie pluri-disciplinaire (Leopold), ce dernier se rend chez sa cousine (Adrian, mariée à Andrew, inventeur passionné) à la campagne en compagnie de sa future femme (Ariel), tandis que le mari d'Adrian a invité son meilleur ami, le docteur Maxwell, ayant ramené une infirmière (Dulcy) pour rendre le week-end "plus agréable".
Durant celui-ci, l'histoire de chacun et les passions se révèlent, dévoilant chaque fois un événement nouveau qui vient pimenter la relation entre chaque personnage et permettant de cerner un peux mieux leur conception propre de l'amour.


En une unique journée et nuit d'été, on parvient à découvrir les trames de l'amour sous toutes ses coutures avec en fil rouge des éléments questionnant la définition même du verbe "aimer" : "Peut-on aimer une personne sans acte charnel ?" Inversement, "Le désir charnel suffit-il à se prétendre amoureux de l'être désiré ?"


Plusieurs similitudes entre les personnages avec des différences subtiles dans leur attitude permettent de voir comment le réalisateur a envisagé méthodiquement les différents cas de problème amoureux et leur dénouement, lorsque tous ces personnages se rencontrent et confrontent leurs sentiments.



  • Andrew semble incarner l'homme des "occasion manquées" -> si sa rencontre et son mariage avec Adrian restent flous, on comprend qu'il brûlait de désir pour Ariel 2 ans plus tôt mais qu'ils ne sont pas passé à l'acte. Il affirme tout de même l'avoir "aimée" et encore aujourd'hui.. sans pour autant avoir "franchi le pas". Ses problèmes conjugaux avec Adrian témoignent également du fait qu'Andrew ne semble pas très performant en ce qui concerne l'acte sexuel, il vit de passions et d'amour mais parfois platonique ...


  • Inversement, Le Docteur Maxwell semble chercher l'amour en multipliant les expériences charnelles -> Si de prime abord, il semble être un "obsédé", un "homme de Néanderthal" (selon Leopold), incapable d'avoir une relation stable car entassant les conquêtes d'un jour, on découvre de lui une facette bien plus définie : Maxwell semble devoir pratiquer l'acte avant de se déclarer entièrement amoureux, s'il brûle de désir pour une femme, il veillera toujours à concrétiser immédiatement cette passion pour savoir si oui ou non il en est réellement amoureux.
    Ce qui permet d'expliquer pourquoi il continue à séduire de nombreuses femmes et également son empressement à "précipiter les choses" avec Ariel plus loin dans le film.



Alors qu'Andrew se contente d'un désir brûlant pour se déclarer amoureux, regrettant néanmoins l'acte manqué, Maxwell semble en quête de l'amour à travers la réalisation de l'acte avec l'être désiré...
Pour lui, le mariage détruit cette passion et représente la perte de l'espoir ("The death of hope") soit la perte de liberté sexuelle (ayant juré fidélité à un être et un seul) et donc la perte d'amour (puisque la personne s'auto-convainc qu'elle aime son époux/épouse sans même avoir pratiqué l'acte [ce qui permet pour lui de savoir si on est amoureux ou pas] : ce qui semble être un reproche voilé à l'union Andrew/Adrian, Andrew ayant spécifié qu'Adrian était vierge au moment de leur mariage ...)
Il ne peut ainsi concevoir le mariage Leopold/Ariel car il ne conçoit pas qu'une personne puisse s'enfermer ainsi dans une union supposée amoureuse sans être sûre de son désir.



  • Adrian est l'opposée d'Ariel mais aussi d'Andrew en un certain aspect: elle semble exclusivement tournée vers sa relation avec ce dernier mais semble désespérée quant à ses performances au lit. Pour autant, elle a su profiter de sa nuit d'été et de passion passagère avec Maxwell (donc différente d'Andrew qui n'a su le faire avec Ariel) mais n'a autrement quasiment aucune expérience charnelle extérieure (donc différente d'Ariel qui aurait "fait l'amour un peu partout" selon les dires d'Andrew, ce qu'elle ne dément pas vraiment) et oeuvre pour restaurer son désir afin de refaire l'amour et l'aimer à nouveau.


En ce sens, elle se rapproche du personnage de Maxwell puisqu'elle désire avant tout pouvoir pratiquer l'acte avec son mari pour l'aimer. On voit bien dans le film que son doute sur l'amour qu'elle lui porte est bien provenu de leurs 6 mois d'abstinence ...


Elle illustre du même coup l'idée selon laquelle le mariage représenterait "la perte de l'espoir" (selon Maxwell) car jurer fidélité à une personne comporte plus de risques quant à la possibilité de finir par douter de son amour pour celle-ci alors que l'on conserve la possibilité de rénover son désir et se découvrir un nouvel amour, en étant non marié !



  • Ariel est au centre de toutes les attentions, convoitée par Leopold, Andrew et Maxwell elle semble être -> l'élément autour duquel tous les personnages se réunissent car elle concentre les différentes facettes de l'état amoureux.
    -> Tantôt capable de se déclarer amoureuse au nom d'une passion non concrétisée par l'acte sexuel (soit sa nuit d'été avec Andrew)
    -> Ensuite poussée par le désir de stabilité (à travers le mariage) et d'un "amant respectable" lorsqu'elle affirme aimer Leopold et vouloir l'épouser.
    -> Puis réticente et enfin compatissante avec la vision de l'amour de Maxwell.
    Les relations qu'entretiennent Ariel avec chacun des protagonistes permet en réalité de révéler à chacun leur comportement, Ariel restant plus mystérieuse car partagée (sans que la fin du film n'y répondre) entre plusieurs conceptions.


Le déroulement du film révélant progressivement les étapes de la vie amoureuse d'Ariel, la définition du verbe "aimer" pour chaque personnage se précise alors, alors qu'elle semble, en elle-même, assez malléable (ou torturée), suivant Andrew dans son escapade au lac avant de réitérer sa promesse de mariage avant d'y renoncer fermement.



  • Leopold est célibataire (comme Maxwell) mais s'est consacré toute sa vie à l'étude de plusieurs disciplines dans lesquelles il a fini par exceller, sans pour autant jamais s'attacher à une personne, comme si son désir était "transporté" sur ses études et ne parvenait pas à s'exprimer lorsqu'il devait faire ses preuves d'amour. (Dans le sens où il ne le concrétise pas, comme Andrew)
    La construction progressive de sa jalousie et parallèle à son désir de profiter de sa "dernière nuit de liberté" (avant le mariage) avec Dulcy achève de révéler son envie de libérer sa passion avant de devoir la maintenir durant son union avec Ariel.


Dénonçant les manières "sauvages" de Maxwell dans l'amour, il finit par y succomber, au paroxysme de la jalousie (apprenant le choix final d'Ariel non pour l'un mais pour l'autre), il fait couler le sang et déchaîne son désir sur Dulcy, comme "libéré" par cet acte interdit qu'il a commis, il exprime son désir et du même coup son "appétit charnel" longtemps contenu !


Pour autant étais-ce de l'amour ? Ou juste un acte sexuel sur un être désiré ? L'ultime événement de ce film revient donc à la question originelle et nous renvoie à la vision de chacun des protagonistes, observant, comme nous spectateurs les observons ici, "l'esprit" de Léopold qui leur livre sa conception et le bonheur qu'il en a retiré.



  • Dulcy fait alors office "d'ingénue" dans le film -> emmenée par Maxwell puis répondant à l'appel de Léopold sans qu'elle exprime un avis clair sur son amour, elle apparait "sans désir" et permet d'apprécier le contraste avec l'amour charnel ou platonique des autres personnages.


-> Ce film permet alors d'explorer les facettes de l'amour mais de manière progressive et voilée. Il n'est pas alourdi par de longues contemplations solitaires des personnages, met toujours face à face les différents protagonistes et perfectionne l'analyse de la conception de chacun au fil des révélations ("l'amour" entre Ariel et Andrew, la nuit d'été torride entre Adrian et Maxwell etc ...) en ponctuant le tout de plusieurs touches très appréciables d'humour !


Jouissant également de bons plans caméra (sur le soleil à travers les arbres de la forêt, les prairies vertes et mornes) et de scènes de mise en abyme particulièrement réussies (les personnages regardant l'apparition de "l'esprit" de 2 personnes qui sont très proches et posant alors chacun les questions qui les tiraillent intérieurement sous couvert de vouloir deviner les intentions des esprits fantômes [Ils devraient s'embrasser !! Va t'il saisir l'occasion ?], ce film brille alors par la manière dont il traite son sujet en l'alliant à une malice comique agréablement efficace !


L'espoir d'un cinéma sachant illustrer fictivement les interrogations sur les façons "d'aimer" l'autre est donc ici pleinement réalisé !

Reddys
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le 21 juin 2015

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