Angela : Tu préfères manger du poisson ou de la viande pour dîner ?... Émile !
Émile : Du poisson.
Angela : Et qu'est-ce que tu aurais préféré… si tu avais voulu de la viande ?
Émile: Je ne sais pas... Du veau.
Angela : Et si tu avais voulu du bœuf au lieu du veau, tu aurais choisi un bifteck ou un rôti ?
Émile : Moi ? Un bifteck...
Angela : Si tu m'avais dit rôti, tu l'aurais choisi bien cuit ou bien saignant ?
Émile: Très saignant.
Angela : Et bien mon chéri, tu n'as pas de veine, parce que, justement, mon rôti de bœuf est un peu trop cuit.
Ah Jean-Luc Godard, même le scénario d’une comédie conjugale n’a aucun sens avec lui.
La scène d’introduction est symbolique dans ce sens. Elle montre la protagoniste, Angela, entrer dans un café, commander un crème très blanc, mettre une pièce dans un jukebox pour entendre une chanson de Charles Aznavour que l’on entendait quelques instants auparavant (utilisation habile de l’extradiégétique (?) et de l’intradiégétique !), demander l’heure à celle qui sert au comptoir, boire une gorgée de sa tasse et partir tout de suite après, prétextant qu’elle n’a plus le temps, sans payer et en faisant un clin d'œil à la caméra.
Et le fait que le “bon copain” blasé, joué par Jean-Paul Belmondo, essaye de coucher avec la femme de son meilleur pote en lui montrant une photo de son époux avec une autre femme. Euh ouais, d’accord, mais dans une scène antérieure, l’épouse a vu son mari, Emile, (incarné par Jean-Claude Brialy en mode grognon !) en compagnie de cette autre femme, donc pourquoi est-elle surprise ? Et pourquoi le “bon copain” qui était présent lors de la scène antérieure pense qu’elle puisse être surprise ?
Et il y a de la négligence à un moment donné avec une technique bâclée. Lors de la séquence du début dans laquelle l’épouse retrouve son mari sur son lieu de travail (il dirige une boutique qui vend des magazines, des journaux et des livres !), le fond est flou. Et on retrouve ce même flou dans une autre séquence, bien plus tard dans le film, pendant laquelle le mari sur son lieu de travail parle au téléphone à sa femme (de ce fait, au même endroit et dans une scène qui a dû être tournée pour des raisons pratiques évidentes de lieu dans la foulée de l’autre !). Négligence technique de Godard ? De Raoul Coutard qui était pourtant un directeur de la photo extrêmement talentueux (au passage, c’est le premier film pour lequel Jean-Luc délaisse le noir et blanc et laisse d’ores et déjà exploser son goût dans les années 1960 pour les couleurs vives dans un style visuel qui n’est pas sans rappeler Frank Tashlin !) ? Est-ce que Godard a eu l’impossibilité ou la flemme de retourner ces scènes ? Ou alors, il n'en avait rien à péter (ce qui correspondrait bien au caractère du personnage !) ?
Mais, bref, ça n’a aucun sens.
Comme souvent chez Godard, la musique recouvre les dialogues pour les rendre inaudibles ou se met à égalité ou se coupe brutalement pour laisser place à la parole ? Comme lorsque Anna Karina chante dans une boîte de striptease dans laquelle elle travaille (non, on ne la voit pas à poil… oui, c’est dommage !), dès qu’elle ouvre la bouche, la musique s’arrête. J’ai trouvé que c’était une belle idée de mise en scène. Mais il faut bien avouer que le Jean-Luc, dans une avalanche de chiant, était capable de donner des trucs ingénieux de cette eau. Il y a un autre truc pour lequel il pouvait être aussi très bon, c’étaient les dialogues marrants, s’aventurant parfois dans les calembours ou dans les jeux de mots. J’en ai kiffé plusieurs (comme celui que j’ai mis en début de critique !). Je ne parle même pas du fameux calembour final.
Et il y a des situations qui m’ont elles aussi fait rire, je dois bien l’avouer. Après la fin de la conversation téléphonique (oui, celle avec le fond flou !), un employé demande à son patron si ça va et l’autre lui répond qu’elle peut aller se faire cuire un œuf. Devinez ce qu’elle est en train de faire à ce moment-là. Ou l'engueulade conjugale muette avec les titres de livres. Ou quand Angela balance une crêpe en l’air avec une poêle dans sa cuisine, puis répond au téléphone dans la cage d’escalier, demande à son correspondant d’attendre, revient dans la cuisine et rattrape la crêpe. Oui, je me suis gondolé devant cela.
Reste que cet ensemble foutraque ne tiendrait pas sans la présence de la sublime Anna Karina. Mais bordel, qu’est-ce qu’elle était belle ! Comment ne pas tomber amoureux ? Et ce petit accent du pays d’Andersen qui ne fait qu’ajouter à son charme immense. Qu’elle soit en bleu, en blanc, en rouge, elle est un régal pour les yeux. J’ai envie d’être indulgent envers les défauts du truc, parce qu’Anna réussit à les faire mieux digérer, voire à les faire apprécier quelquefois. Il n’y a qu’elle pour rendre son personnage casse-couilles et têtu aussi adorable, aussi irrésistible. Ah oui, pour celles et ceux qui adorent les bombes, Jeanne Moreau et Marie Dubois ont des très petits rôles ici, ne servant strictement à rien (la seconde aurait pu plus être utilisée, par exemple, pourquoi pas, dans le registre “meilleure amie” de la protagoniste, Karina et Dubois avec un bon lot de scènes communes, ça aurait fait des étincelles… une bonne occasion manquée, mais la caméra n'aime que Karina, comment lui en vouloir !), mais ça fait quand même plaisir de les voir.
Pour une des rares fois que Jean-Luc (avec l’aide non négligeable de son épouse d’actrice principale !) parvient à faire un truc qui ne soit pas au pire une torture, au mieux un somnifère, pourquoi s’en priver ? Allez rien que pour Anna ❤ !