Il est rare de mener un portrait de femme aussi saisissant. Les pays hispanophones, Almodovar en tête, semblent en produire quelques pépites. Cette femme fantastique-là voudrait à tout prix passer inaperçu ou du moins ne pas faire de vague : elle était un homme, mais désormais elle refuse qu'on lui rappelle ce passé oublié depuis qu'elle a décidé d'être Marina. Pourtant, tout semble devoir la ramener vers ce changement de sexe, lui rappeler qu'elle est hors de la norme. Alors elle tape dans des sacs de boxe ou dans le vide, pour ne pas perdre la face en public. On ne la verra se révolter vraiment qu'une seule fois. Cette inanité devant les événements qui font sa vie et l'impassibilité du personnage sont quelques peu déroutants, d'autant plus que le film semble vouloir transmettre et dénoncer un quotidien pas toujours facile, quand on est une femme qui a encore des papiers d'homme par exemple.
Après Gloria, le réalisateur poursuit son exploration de la féminité et du corps avec Marina, portée par une actrice transgenre vraiment fascinante dont le visage change à chaque instant, mais dont la tendresse persiste pour un homme aimé (les quelques scènes qui les rassemblent au début du film sont très belles, douces, signes d'un amour simple, sans contraintes) dans la désapprobation de tous et surtout de la famille du désormais défunt. Marina se retrouve alors spoliée, rejetée et même violentée, on voudrait faire d'elle un monstre, elle reste digne. Elle fait aussi le choix d'assumer ce corps en mouvement et garde la tête haute en toutes circonstances. Dommage que le film manque cruellement de rythme, que beaucoup de pistes soient laissées en chemin pour privilégier la contemplation et la répétition de certaines scènes (notamment celles où Marina marche dans la rue à divers moments de son parcours). Cependant, le film est littéralement porté par un regard tendre sur Marina et par son interprète Daniela Vega et comporte de très beaux moments de cinéma, notamment lorsque le corps est questionné, mis à nu et bouscule les attentes, les cadres et les limites du genre pour mieux se réinventer.