D'après la faible connaissance que j'ai du giallo, il m'a semblé pour l'instant, d'après les quelques film de Bava que j'ai vu que ce genre dont il est l'initiateur était pour lui le cadre prétexte idéal pour expérimenter cinématographiquement sur des émotions propres au thriller fantastique. Il n'y a qu'à voir les titres de certains films du cinéaste, qui contiennent le terme générique de ce qu'ils explorent (Opération peur, Les Trois visages de la peur qui sont des études directes sur le sentiment de peur au cinéma- et qui connaît une forme d'aboutissement dans le troisième segment de ce dernier). Ici, comme l'indique plus clairement le titre original italien (sous lequel était présenté le film à la cinémathèque bien qu'il était projeté en version anglaise!), Il Rosso segno della follia, avec l'accent s'il vous plaît, Bava explorera plus spécifiquement la folie cinématographique, ce qui donnera lieu à plein de joyeusetés baroques succulentes.


Donc exceptionnellement, dans ce giallo-ci, nous évoluons durant la totalité du film sous le point de vue d'un tueur psychopathe et fier de l'être comme il le dit lui même dans une voix-off étonnamment bien écrite et très drôle en début de film. Il ne peut s'empêcher de massacrer les jeunes femmes sur le point de se marier ce qui malgré la source évidente de plaisir lui fait se poser quelques questions sur l'origine du trouble qu'il cherchera à coup de meurtres (qui lui rendent petit à petit la mémoire sur l'évènement traumatique déclencheur dans son enfance) à expliquer.


Et ça démarre sur les chapeaux de roue avec un sublime meurtre très inquiétant dans un train, où l'on sent déjà poindre la folie formelle dans laquelle baignera tout le film, coupes rythmique dans l'axe qui suivent la musique (par ailleurs formidable mais j'y reviendrai), suspens hitchcockien et l'on remarquera la présence très angoissante d'un petit garçon blond qui viendra souvent hanter l'anti-héros de manière très passive (donc d'autant plus inquiétante), simple réminiscence de son passé (le garçon, c'est lui). La folie du personnage est en fait strictement égale à celle de la mise en scène car il semble en être le seul point de direction.
On aura ainsi moults zooms obsessionnels, une utilisation subjective de la musique, qui alterne entre deux thèmes, l'un angoissant et l'autre dramatique, l'un se succédant à l'autre quitte à faire éprouver des sentiments contradictoires au sein d'un même plan (je pense en particulier à la scène où le tueur amène une de ses victimes fraîchement abattue à son four crématoire personnel et où la musique dramatique a priori dissociée lui confère une atmosphère mélancolique absolument bouleversante).
La photographie voit tout rouge (comme indiqué dans le titre original encore une fois) ce qui, même si ce n'est pas le travail photographique le plus élaboré de Bava, a le mérite de coller parfaitement à la monomanie de son personnage, et l'utilisation du grand angle est terrifiante, car utilisé avant tout pour ses déformations de perspectives (et là encore je pense à une scène en particulier, où notre psychopathe évolue dans la pénombre de sa salle secrète où sont disposées ses plus belles robes de mariées sur des mannequins-car il dirige une franchise de haute-couture matrimoniale-son visage filmé en gros plans durant de très longues minutes passant de mannequin en mannequin jusqu'à ce que la coupe brutale découvre la salle complête donnant l'impression d'une véritable invasion de mariées qui par leur position et les déformations prend un atour franchement angoissant).
En fait dans la première partie du film, le psychopathe semble avoir un contrôle parfait de sa folie et de fait, Bava joue avec nous à travers lui-cf la scène racontée juste avant- avec une jouissance, malgré les failles qui menacent de s'ouvrir à tout moment, complêtement partagée (il n'y a qu'à voir ce moment hallucinant où le tueur répond à l'inspecteur chargé de l'enquête des meurtres que si dans sa serre les plantes poussent si bien c'est par qu'il y met le bon engrais-et pour cause il y disperse les cendres de ses victimes!).


Seulement les failles finiront par s'ouvrir suite au meurtre de trop (lui aussi sublime grâce notamment à un champ contrechamp sur les reflets de l'unique lame du hachoir du tueur, qui non seulement permet de cacher le travestissement du personnage mais donne une idée tout à fait poétique puisque le champ contrechamp s'arrête, la coupe s'opère quand l'objet est saisi pour trancher la victime, comme si le hachoir coupait la pellicule!), ou du moins de la mauvaise personne puisque c'est celle qui lui permettait de cadrer sa folie, et à partir de ce moment là, le film tombe de plus en plus dans la perte de contrôle et se permet absolument toutes les folies, qu'à présent le tueur subira. Ainsi la femme viendra le hanter mais d'une manière totalement inhabituelle puisque contrairement à la coutume ce sont les autres personnes et pas lui qui la verront, ce qui donne lieu à tout un tas de situations très cocasses et étranges puisque il n'est alors plus jamais seul, mais seulement aux yeux des autres! C'est la folie du film qui devient persécutrice du personnage. Il y a une scène assez représentative de ce changement de point de vue, ou du moins du rapport de force quant à la maitrise des éléments de la mise en scène. Le serial-killer dans sa chambre d'enfant intacte (où les jouets semblent possédés) remonte sa boîte à musique dont nous avons déjà entendu le son auparavant, qui joue alors le thème du film, on se dit qu'il s'agit du révélateur de la subjectivité musicale dont j'ai déjà parlé, sauf qu'en fait, et après que la femme qui tente de le séduire soit entrée dans sa chambre (d'ailleurs cette femme, dans la deuxième partie entre et sort de chez lui comme dans un moulin, bizarre!), nous nous apercevons que c'était un disque qui la jouait, disque qui s'enraye, bloqué sur les mêmes notes alors que la fille lui a mis le grappin dessus.
Le rythme du film devient aussi beaucoup plus chaotique (ce qui fait que cette partie est moins confortable à regarder), les liens narratifs sont de plus en plus flous, tout semble mener à un deux ex machina tentant d'enfermer entre ses griffes le tueur désormais victime du film qu'il semblait contrôler (et c'est drôle comme Bava met sa position en avant en n'hésitant pas à s'auto-citer, le personnage visionnant Les Trois visages de la peur à la télévision, qui sera pour lui un cadeau empoisonné, un faux-alibi orchestré sans aucun doute par Bava lui même!).


Bref vous l'aurez compris, sous ses aspects de série B baroque de qualité se cache en fait une vraie réflexion très approfondie sur la subjectivité au cinéma, sur la question du point de vue tant perceptive (visuelle et sonore) que narrative, ainsi que sur le pouvoir du grand imagier cinéaste sur la conscience de ses personnages et des spectateurs.
Et tout ça avec beaucoup d'humour et de sensibilité moi je dis: Grand film!


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le 1 juil. 2011

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