Avec ‘Une jeune fille qui va bien’, l’actrice Sandrine Kiberlain signe un premier film, en tant que réalisatrice, étonnant où elle marrie habilement la fougue de la jeunesse et la tragédie historique. Le tout est d’une rare sobriété et d’un classicisme élégant.
Irène a 19 ans, est une jeune Française, juive. Elle est passionnée de théâtre et rêve d'entrer au conservatoire. Irène répète ‘L'Épreuve’ de Marivaux pour préparer un concours d’entrée au conservatoire. Mais peu à peu, les mesures anti-juives planent et viennent contrarier la vie et les projets de la jeune fille.
Le film est, visuellement, dans l’épure. Pas de gros moyens, peu d’élément contextualisant si ce n’est quelques voitures ou les vêtements. Certaines mauvaises langues pourront dire que cela est due à un manque de budget. Peut-être, il n’empêche que le film ne fait pas écraser par la reconstitution et permet de mettre en avant les jolies intrigues sentimentales et les rapports familiaux. Par ailleurs, ce souhait de non-contextualisation permet de rendre cette histoire universelle car il s’agit avant tout de faire le portrait d’une jeune fille.
Le film est avant tout le récit de l’aspiration d’une jeune fille à être comédienne. On la voit répéter Marivaux, buter sur certaines scènes, travailler comme ouvreuse dans un théâtre. Dans l’une des plus belles scènes, on voit Irène pendant son travail d’ouvreuse hors de la salle dire quasi en même temps les répliques de la vraie comédienne sur scène. Elle semble avoir un feu intérieur qui la pousse a continuer et qui la rend insouciante. C’est aussi le portrait de la jeunesse. On la voit être jeune, boire des verres au café, rire avec ces copines, se disputer avec son frère, parler avec sa grand-mère. Irène vit dans une bulle qui sera progressivement transpercée et rattrapée par l’histoire.
Car la très bonne idée du film est de distiller progressivement la tragédie, l’angoisse. Au début du film, la menace est hors-champs. Le père évoque la mention juive qui doit être apposée sur les papiers d’identité. Un camarade juif du conservatoire disparaît sans donner de nouvelles. L’histoire s’immisce peu à peu dans le film et à l’image jusqu’à ne plus le/la quitter avec l’étoile jaune cousue sur la veste. En fait, le film semble être à l’image de son personnage principale : dans une sorte de monde parallèle rattrapé par la réalité, ce que la dernière scène synthétise parfaitement : Irène danse dans un café en attendant les résultats de son audition au conservatoire, et en contre-champs une serveuse qui lui lance des regards de mépris à cause de son étoile.
Un mot des comédiens et du casting assez hétéroclite. La révélation du film c’est la comédienne de théâtre Rebecca Marder, pleine de vitalité, de grâce, d’élégance. Sandrine Kiberlain lui adjoint les jeunes comédiens India Hair et Anthony Bajon. Les trois acteurs livrent des interprétations dans la spontanéité. Dans les rôles des adultes, il y a André Marcon dans celui du père et Florence Viala dans celui de la voisine. Ils livrent des interprétations sobres mais plus travaillées. Ce contraste entre la spontanéité des jeunes et le jeu plus ‘ancienne génération’ des adultes renforce l’idée que les adultes semblent plus conscients du contexte et que les jeunes vivent leur jeunesse plus inconsciemment. Dans le rôle de la grand-mère, Kiberlain a casté la non-professionnelle Françoise Widhoff (monteuse de profession). Elle a un jeu entre retenue et sincérité, elle est le pont entre les deux générations.
Sandrine Kiberlain signe un premier film d’une facture très classique, c’est-à-dire sans innovations formelles. Mais Kiberlain sait écrire et filmer de belles scènes. Je pense à une scène en particulier d’un baiser entre Irène et son copain entre pénombre et lumière. ‘Une jeune fille qui va bien’ est un très joli premier film modeste et sincère.