Quand on est jeune à Moscou en ces années 2010, peut-on se projeter au-delà de l’année en cours ? Pour Zhenya et Yegor, cela semble tellement improbable qu’on réalise à peine qu’ils sont mariés. Ils n’ont guère plus de 20 ans et ils font leur possible pour assumer la charge du loyer de leur maison. C’est l’expression qu’ils utilisent pour désigner l’appartement aux murs recouverts de pages de magazines où ils vivent. Zhenia qui sait ce qui se fait décide un beau jour qu’il est temps de faire un vrai choix personnel en arrachant tout ça et en peignant les murs en blanc. Yegor ne manque pas l’occasion de dire que ça fait chambre d’hôpital. Zhenia considère qu’il suffira de suspendre quelques cadres, etc.


Cet antagonisme est caractéristique de ce qui se passe entre les tourtereaux. En effet, si l’amour qui les rapproche transparait de façon évidente, leurs désaccords se font assez vite jour également. Zhenia (Nadya Lumpova) est très enjouée, ouverte, touche-à-tout, optimiste et quasiment infatigable. Yegor (Aleksey Filimonov), lui affiche quelque chose qui ressemble à l’âme slave, mélancolique voire pessimiste. La différence se sent immédiatement sur leurs physiques, avec l’opposition entre la bonne tête de Zhenia renforcée par ses joues et lèvres pleines, sa fraicheur et sa féminité naturelle, alors que Yegor est mince avec un visage plus fermé. Entre eux, elle l’appelle Moz voire Mozzi, surnom qu’on imagine déformation de son nom de famille. Il n’en est rien et le spectateur restera en dehors de ce détail de leur complicité (pas sûr que la compréhension du russe apporterait l’explication). La différence entre leurs activités n’est pas que symbolique, puisque Yegor gagne sa vie comme chauffeur de taxi clandestin de nuit alors qu’avec sa formation, il pourrait prétendre à mieux. Son côté provincial déraciné joue contre lui, alors que Zhenia débute comme infographiste à la rédaction d’un magazine branché où elle côtoie des jeunes de sa génération (que Yegor jalouse simplement parce qu’il en entend parler), dont les réparties humoristiques passent régulièrement par Internet alors qu’ils ont leurs bureaux dans la même pièce, l’open-space leur convient bien.


Ces différences n’empêchent pas Zhenia et Yegor de se retrouver avec bonheur. La caméra enregistre leur complicité, quand ils jouent dans la neige et dans leurs très tendres ébats à la maison. Mais ces différences ressortent par moments. Pour la soirée du Nouvel An, Zhenia aimerait accepter l’invitation qu’elle vient de recevoir de la part de ses nouveaux collègues, alors que Yegor a déjà organisé quelque chose avec des amis à la maison.


Adapté d’une pièce d’Alexandre Volodine (1919-2001), ce film de la Russe Oksana Bychkova est son cinquième long-métrage. Sans être une réussite totale, il apporte son lot de surprises et des moments de grâce qui en font le prix. La description de Moscou se limite à quelques extérieurs (plutôt nocturnes) qui montrent une ville à l’activité intense (une artère comprenant pas moins de 7 voies de circulation), où Yegor se voit contraint de marchander le prix de ses courses, au risque (réel) d’inciter le client à trouver le moyen (brutal) de ne pas payer.


Le film montre surtout une histoire d’amour plus forte que tout, entre ces jeunes qui ne sont pas préparés à certains tourments. Comment faire quand on s’aime et qu’il tue le temps à l’attendre en s’éternisant devant des jeux vidéo ?


Pour Yegor ce sera voir une autre femme, s’installer avec elle, tout en étant capable de revenir voir Zhenia au moindre appel comme si rien n’avait changé entre eux. On le comprend, puisque leur divorce les amuse au point que la fonctionnaire qui les reçoit s’imagine qu’ils se fichent d’elle.


Le spectateur doit donc se laisser embarquer dans un univers surprenant où il se sent presque de trop, témoin de l’intimité de ce couple quelque peu bancal mais indestructible, à l’image de cette caméra tenue à l’épaule, d’une mobilité étonnante (et qui capte de nombreux détails), sans pour autant devenir désagréable. Les nombreuses scènes de rassemblements festifs, le plus souvent attablés pour manger, montrent que Yegor ne cherche pas à s’isoler, bien au contraire.


Ambiance donc inattendue qui vaut le coup d’œil. Le point faible tient au fait que la réalisatrice se contente de montrer ce couple, laissant le soin au spectateur d’interpréter certains détails qui auraient pu faire évoluer le film du côté d’une radiographie de la société moscovite. Il y aurait certainement beaucoup à dire et montrer, sans doute un peu ambitieux pour ce film intimiste à l’équilibre fragile.

Electron
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le 31 juil. 2016

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