Romance psy et profonde entre deux êtres ( Aymeric Alex Lutz et Nathalie Karin Viard) croisés au hasard du métro et errance fulgurante sur "le monstre hybride du couple", Alex Lutz écrit et filme les alchimies et auras imprévisibles qui surgissent de ce temps si privilégié de la nuit.
Un couple se dispute dans un métro bondé : 6mn.
Un couple fait l’amour dans un photomaton désert: 6mn.
Entre, pendant, après, Une nuit le nouveau film d’Alex Lutz prend place dans les interstices de la ballade séditieuse et séductrice de deux inconnus épris de leur propre disponibilité éperdue. "Entre l'épouvante du coucher et le découragement du matin", une Nuit filme un homme et une femme en perte de vigueur pour la vie, des gens qui n'ont pas le moral et qui vont par cette rencontrer s'aimer à se redonner du courage.
L'énergie du sens, le théâtre des mots
Une nuit est comme suspendu dans le temps romantique et lucide des jeux de la parole et du hasard, ce qui est à la fois sa force et sa faiblesse. Force car l'écriture d'Alex Lutz et de sa complice ici Karin Viard y est définitivement élégante, riche, questionneuse, avide de sens ce qui génère la grâce de l'ensemble. Faiblesse car cette écriture par trop psychanalytique ou philosophique fait ployer le projet jusqu'à interroger le spectateur sur la nécessité du médium film ici. N'eût-il pas mieux valu envisager une scène de théâtre, un dispositif épousant davantage le coeur de la réflexion vivante naissant sous nos yeux de deux personnages qui parlent de leur intimité, se conseillent, s'écoutent, se désirent mais surtout cherchent à (se)comprendre ou faire perdurer leur désir ?
Une nuit donc partage et peut agacer tant il n'est finalement question que de paroles, de libération de l'usure d'une vie de couple par la thérapeutique du verbe et de la présence écouteuse de l'autre. L'irritation vient de ce qu'on pourrait projeter cinématographiquement davantage, aller du côté de l'Intimacy de Patrice Chéreau filmant aussi cette intimité aléatoire et très charnelle par contre entre deux purs inconnus. Peut-être le film de Lutz aurait pu gagner en tension et nécessité filmique en remplaçant les paroles par les corps, en introduisant plus d'altérité dans cette rencontre vouée à tourner quelque peu sur elle-même.
Une vie de leur visage
Et pourtant le film par le charisme fou de ses acteurs magnifiques que sont Lutz et Viard nous atteint et émeut, dépassant nos réticences. Que se passe-t-il alors qui l'emporte et continue longtemps après la projection de nous étreindre ?
Tout d'abord l'irrésistible magnétisme de leur duo, de leur présence qui tient lieu d'image puissante. Ils sont souvent filmés de très près, à chair de visage donnant une incarnation pérenne. Incarnation par leur capacité également à traverser toutes les émotions, à manifester doute, tristesse, émerveillement. La vie de leur visage est le film. Avec cette nudité et transparence qui apparaît sur leur peau, on a vraiment le sentiment de ressentir leur humour, leur impuissance aussi, la versatilité de l'intime et du temps. Ensuite les dialogues sont souvent de toute beauté. Leur processus de vie entre écriture exacte et improvisation : nous voyons presque l'alchimie de ces dialogues prendre naissance sous nos yeux.
Ce qui est dit également, la valeur tellement profonde de ce qui est dit touche. Notamment une scène où Alex Lutz essaye de saisir l'essence du couple, la valeur si particulière de ce que peut-être un "partenaire" de vie. De mémoire je cite , -quand on est la bite à l'air en débardeur dépenaillé et qu'on se dispute avec sa compagne ou son compagnon, quoiqu'on dise au fond là on sent qu'on est absolument vrai et que cet autre face à nous compte !
Enfin une scène vient perturber la mise en scène et confronter le couple à autre chose, cette scène se passe en boîte de nuit avec un couple échangiste et de nouveau la manière dont l'ensemble est écrit, dit, joué, vise en plein coeur et fait cinéma.
Une Nuit a été filmé en 14 jours. Applaudissons en l'audace, l'élégance, le tact, la clairvoyance qui elles demeureront longtemps.