Rarement un couple cinématographique aura été aussi prolifique que Michael Powell et Emeric Pressburger, réalisant en quelques années une vingtaine de films, dont beaucoup comptent aujourd’hui comme joyaux du cinéma britannique. L’expérimentation visuelle associée à un usage flamboyant du Technicolor sert d’écrin à des récits lyriques où le merveilleux (Les Chaussons Rouges) côtoie souvent le tragique (Colonel Blimp). Redécouverts sur le tard – notamment grâce à Coppola et au bel hommage qu’il leur offre dans Tetro – les films du duo manifestent d’une modernité renversante qui leur permet d’accéder au rang de chefs d’œuvres merveilleux du septième art. Avec Une question de vie ou de mort, le duo de réalisateurs transforme une commande initiale du Ministère de l’Information britannique en une œuvre profonde et poétique, qui multiplie les trouvailles visuelles inventives et les réflexions existentielles.


Reprenant l’argument principal du Ciel peut attendre de Lubitsch, Powell et Pressburger proposent une variation autour du thème de l’au-delà à travers un procès découlant d’un regard rétrospectif sur ce qui aura été la vie du personnage principal. Alors que la seconde guerre mondiale fait rage, Peter Carter, jeune pilote britannique sur le point de s’écraser, envoie un message d’adieu à la tour de contrôle. Conscient du sort funeste qui l’attend, Peter saute de l’avion et, contre toute attente, survit miraculeusement à sa chute. Ce n’est évidemment pas du goût des anges qui, bien décidés à ramener Peter au paradis, envoient un émissaire chargé d’aller le chercher. Peter, qui vient de trouver l’amour sur terre, ne va pas être facile à convaincre…


Cette œuvre est un véritable cheval de Troie : conçue initialement comme une œuvre de propagande visant à atténuer les tensions entre les peuples américains et britanniques, elle dépasse son objectif initial en proposant aux spectateurs une expérience visuelle telle qu’il n’en a jamais vu. L’argument romantique initial ne semble être qu’un prétexte à nos deux réalisateurs pour accoucher d’un film poétique et philosophique, qui s’extrait du réalisme en vigueur pour nous donner à voir un autre monde. Reprenant le principe initié dans Le magicien d’Oz, Powell et Pressburger représentent ainsi le monde réel en couleurs tandis que le monde de l’au-delà est filmé en noir et blanc. Derrière cette prouesse technique (les passages d’un monde à l’autre se font parfois au sein d’un même plan, les décors et accessoires perdants progressivement leurs couleurs) se cache un ambitieux programme philosophique : redonner au monde de 1946 les couleurs qu’il a perdues. Le paradis semble être bien terne par rapport au monde réel : tout y est ordonné, classé et structuré. Les anges, sorte de préfiguration des pires bureaucrates, veillent au grain et régissent le bon fonctionnement du monde. Dans un contexte social au bord de l’effondrement, Powell et Pressburger développent un programme optimiste dépourvu de mièvrerie, dans lequel la beauté des images vient souligner le lyrisme de la fable. Les expérimentations visuelles, jamais gratuites, se succèdent, créant ainsi des images fortes dont la modernité semble annihiler les 70 ans qui nous séparent de l’œuvre. Ces trouvailles atteignent leur point d’incandescence dans une scène au cours de laquelle le héros se laisse porter vers le paradis par un immense escalier entouré de statues d’anges illustres.


Une question de vie ou de mort, en dépit de ses quelques rares longueurs, est un véritable joyau de la modernité, une œuvre qui, pour peu qu’on en doutât encore, achève de faire du cinéma un art majeur. La vision qu’ont Powell et Pressburger du monde est colorée, jamais naïve, mais toujours propice aux folles audaces artistiques. Leur film, à (re)découvrir de toute urgence, explore tous les possibles que permet le médium cinématographique tout en livrant une vision du monde qui fait la part belle à ceux qui y vivent. Yolo !


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DeanMoriarty
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le 16 mai 2016

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