Présenté au festival du film de Berlin en 2011, « Une séparation » est le cinquième film d’Asghar Farhadi, et celui avec lequel il obtient la plus grande reconnaissance publique et critique. L’œuvre est rapidement plébiscitée, couverte de récompenses à la Berlinale, et enfin lauréate de la statuette suprême – l’Oscar du meilleur film étranger en février 2012.


Le film entre très rapidement dans le vif du sujet. Dès son ouverture en fait. Face caméra, visages fermés, accoutrements sobres, Simin et Nader sont au tribunal, et souhaitent divorcer. La procédure n’est pas simple, et il faut avoir de bonnes raisons, explique le juge. Pourtant, le problème paraît insoluble : Simin veut quitter le pays, Nader veut rester. Evidemment, aucun des deux n’est prêt à renoncer à la garde de leur fille. On leur accorde un délai de réflexion, qu’ils devront mettre à profit pour prendre leur décision définitive. En attendant, Simin et Nader se séparent, ce qui n’est pas sans créer de nouvelles problématiques : le père de Nader, atteint d’Alzheimer, nécessite la présence permanente de quelqu’un à la maison, un travail ingrat jusqu’alors rempli par Simin. Avec l’aide de sa femme, Nader engage alors une assistante, mais, évidemment, les choses vont se compliquer passablement.


L’intérêt d’un film comme « Une séparation » est double. D’un part, il possède un attrait indéniable de par son exotisme, en ce sens qu’il constitue un genre de vitrine culturelle de l’Iran, aussi passionnante que dépaysante pour un occidental.


Plus encore que les autres films de Farhadi, « Une séparation » immerge son spectateur dans la société de Téhéran, en mettant en scène une zone d’interface entre deux milieux : bourgeois et populaire. Un soin tout particulier est accordé aux détails de la vie de tous les jours ; détails pouvant paraître anecdotiques ou triviaux si le film était situé ailleurs, mais capitaux ici, à d’autant plus forte raison qu’ils touchent des sujets sensibles : place des femmes, religion, etc. Par exemple, Razieh, la femme de ménage, téléphone à une autorité religieuse pour savoir s’il lui est permis par la loi islamique de s’occuper du père malade de Nader. Il lui est également important de dissimuler son emploi chez un homme célibataire.


Outre l’édifiante plongée au cœur de la société iranienne qu’il propose, le film de Farhadi est également le plus abouti de son œuvre, dont il reprend les grands thèmes.
L’on peut considérer « La Fête du feu », « À propos d’Elly » et « Une séparation » comme une trilogie de films sur le mariage, chacun proposant une lecture différente de la vie de couple, et offrant une réflexion supplémentaire de telle sorte qu’ils se complètent. L’on peut y discerner une progression logique, une détérioration progressive de la relation d’un ménage : « La Fête du feu » pose les bases d’un couple idyllique avec une jeune héroïne en passe de se marier. Dans « À propos d’Elly », les premières disputes éclatent, jusqu’à la perte finale de l’unité familiale et la séparation.


« Une séparation » se suffit toutefois à lui-même. Œuvre d’une puissance dramatique terrifiante, le film démontre la fragilité de l’équilibre d’une famille, et la facilité de la destruction du lien social. L’amorce est bénigne : il s’agit presque de "prendre du recul" pour l’un des deux personnages. Avec la même logique implacable dont il fait preuve dans « À propos d’Elly », le cinéaste iranien orchestre alors une véritable descente aux enfers qui ne laisse personne indemne. Le mensonge, et ses conséquences tragiques, sont plus que jamais au cœur du propos : mis face à ses propres contradictions, Nader doit s’enfoncer toujours plus loin dans l’invention et le parjure, et s’aliène finalement ceux qu’il voulait garder auprès de lui.


L’immense – et tout à fait dérangeante – puissance de « Une séparation » réside dans son réalisme effrayant. Les personnages, qui sont tous interprétés de manière absolument impeccable par un casting irréprochable (Leila Hatami en tête), sont humains. Très, voire trop humains, d’ailleurs. Dans un univers très gris, les protagonistes incarnent le plus souvent les défauts, les faiblesses et les côtés les plus noirs du genre humain ; l’humanité qui est décrite dans « Une Séparation » laisse peu de place à l’espoir et à la vertu, et, en ce sens, paraît terriblement vraisemblable.


Chef d’œuvre d’Asghar Farhadi – décidément l’un des plus grands réalisateurs actuels –, « Une séparation » est un film d’une grande noirceur, qui possède un propos aussi puissant qu’il est viscéralement dérangeant. Servi par une mise en scène sobre et efficace, et un ensemble d’acteurs virtuose, le film constitue une passionnante plongée dans la société iranienne et propose un regard acide sur la médiocrité du genre humain.

Aramis
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le 6 mai 2016

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