Le cœur. Une mécanique essentielle dans l’œuvre du chanteur, auteur et réalisateur Mathias Malzieu. Toujours au bord de se rompre. De prendre en glace, puis de stopper net, dans « Jack et la mécanique du cœur » (2014), ou encore de chavirer, ici, victime d’une saturation d’azote, comme en proie à l’ivresse des profondeurs, pour avoir ouï le chant fatal d’une trop jolie sirène (la diaphane et ondoyante Marilyn Lima), et plongé dans son regard phosphorescent...


« Une fourmi de dix-huit mètres / Avec un chapeau sur la tête / Ça n’existe pas, ça n’existe pas... » chantait Desnos. Comme tous les poètes ne reniant pas une irrémissible part d’enfance, Mathias Malzieu pourrait se heurter à la même objection du bon sens : « Ça n’existe pas ! ». Une sirène échouée en plein Paris ! Et puis comment tel personnage apprend-il ceci ou cela ? Comment un appartement carbonisé peut-il retrouver si vite ses couleurs...? Certes. Mais, ne l’oublions pas, la comptine de Desnos se clôt sur un magnifique acte de foi, superbe de désinvolture et de défi lancé : « Et pourquoi pas ? ». Une apostrophe que Mathias Malzieu aurait pu placer en exergue de son long-métrage ou de son livre éponyme, adapté pour le cinéma avec l’aide du coscénariste Stéphane Landowski.


« Et pourquoi pas ? », en effet... C’est bien à une opération de réenchantement que nous convie ici Mathias Malzieu, même si le danger n’est jamais totalement écarté, comme le rappelle le personnage ambigu de la sirène, dangereuse mais aussi fragile, car blessée, et menacée ; ou encore la figure de l’endeuillée, magnifiquement campée par une Romane Bohringer en veuve noire vengeresse. Un danger qui s’est d’ores et déjà manifesté de façon délétère, dans le parcours de chacun des personnages, tous marqués par un deuil, une perte, à commencer par la figure du héros, Gaspard (Nicolas Duvauchelle), meurtri par l’amour et depuis figé dans une position de refus, trouvant à se réfugier dans son enfance, et dans son petit appartement encore saturé de jouets. Mais, comme le fera joliment observer la figure paternelle incarnée par Tchéky Karyo, tous, à l’exemple de Gaspard, sont des « handicapés du deuil », autrement dit du renoncement raisonnable, et, bien souvent, conséquemment, du risque de dépression qui accompagne ce renoncement.


De fait, c’est cette formidable énergie, ce refus du renoncement chevillé au cœur, cette attente toujours secrètement ouverte qui permettra de relever le gant du « Pourquoi pas ?! » et d’ouvrir les vannes de l’enchantement. Un chant qui, au-delà de celui, terrible, de la sirène, sera très présent, puisque porté par différents personnages du film, depuis le sauveteur surprisier jusqu’au joli duo amoureux qu’il formera, en passant par quelques autres figures d’artistes mélodieux. La ville de Paris, elle-même, se trouve réenchantée, non plus meurtrie et rougie par le sang des attentats ou la noirceur des incendies, mais de nouveau, et délibérément idéale, quitte à se parer d’un vernis de carte postale ; Notre-Dame, sur l’affiche, a retrouvé sa flèche et les déambulations nocturnes baignent la cité d’une lumière dorée qui évoquerait presque « Les Tribulations de Balthasar Kober » (1988) du réalisateur polonais Wojciech Has. Un doré auquel font contrepoint les phosphorescences bleutées associées à l’élément enchanté par la sirène.


Un élément aquatique qui permettra de dépasser le tragique lorsqu’il se fera, non plus meurtrier, mais phorique, et se prêtera au chevauchement de tous les « bateaux ivres », parce qu’ils auront osé s’avouer amoureux... Mathias Malzieu offre ici à son public une formidable invitation au rêve et à tous les affranchissements. Comme si le grand Bashung revenait mêler au chanteur son timbre posthume et nous inciter une nouvelle fois : « Osez, osez... ».

AnneSchneider
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le 10 mars 2020

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Anne Schneider

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