Avec Une vie, Stéphane Brizé change radicalement ses propositions de cinéma engagé pour un film en costumes où se croisent Yolande Moreau et Judith Chemla.


On pourrait s’étonner que ce film soit signé Brizé, l’homme derrière la caméra de La loi du marché. Pourtant, derrière les costumes, la pudeur des sentiments demeure. On est face à nouveau à l’humain écrasé par la vie, qui pourtant vit des moments de grâce. Une vie est un film sur la naïveté, la douceur confrontée à la rude vie. On y interroge la foi en Dieu, pas celle en la vie percée de quelques souvenirs heureux qui permettent de tenir. De son actrice dont il ne filme jamais le regard, dont il ne perce pour ainsi dire jamais le secret, Brizé ne se détachepourtant à aucun moment. Judith Chemla est de tous les plans. Elle devient Jeanne entièrement. Ce corps à corps avec une vie souvent ennuyeuse, parfois malheureuse, est passionnant. Les images de pluie, les instants de soleil, tout a sa place dans ce film contemplatif au possible. La vie passe devant Jeanne et Jeanne reste là, comme figée sur place, abandonnée par les hommes de sa vie.


« A part deux trois jours de soleil, quelques je t’aime à nos oreilles, rien qui ne vaille qu’on te réveille…»


Finalement, c’est dans sa plus grande force que Brizé se révèle : filmer le quotidien, sa répétition, mais aussi sa variation. Ce que le temps fait au corps et à l’esprit. Comment vit-on écrasé par des forces qui nous dépassent ? Comment être femme dans ce monde où l’on passe du nid des parents aux bras d’un mari volage ? Il y a de très belles images dans ce film qui ne sent jamais la naphtaline malgré son ancrage dans le passé. C’est que Judith Chemla est une actrice intemporelle. Son personnage est désenchanté, mais rêve pourtant toujours au meilleur, au retour d’un fils pas si prodigue que ça.


On regrette cependant un petit quelque chose à ce film qui prend son temps dans un monde qui va si vite. C’est certainement que Brizé, dans sa pudique manière de filmer, y a mis une austérité qui empêche au film autant qu’à Jeanne de se décorseter. On rit parfois certes des situations, des discours des uns et des autres. Mais c’est malgré le film, car les situations qu’il nous présente nous paraissent parfois si absurdes qu’on préfère ne pas y croire et en rire. Une époque lointaine se dit-on, même si l’ennui est salvateur, il est parfois aussi destructeur. On sent le poids de l’oeuvre de Maupassant, les pages qui se tournent et finalement seule la force déchaînée de la mer (la mère ?) nous libère. Pourtant, pas de grands effets ici, puisque même la musique est utilisée avec parcimonie et intelligence. La femme est au centre de ce monde violent, brutal qui donne des douleurs à celle présentée comme la pureté même, le pardon. Finalement, elle se dit que si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie. Dommage qu’elle manque parfois à ce film empli de souvenirs et de désir frustré.

eloch
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le 23 nov. 2016

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