Je suis sûr que l'on a livré ici nombre d'analyses toutes plus passionnantes les unes que les autres du dernier Malick. Que l'on aura disséqué chacun de ses plans, de ses mouvements de caméra, des intentions de l'auteur et de son retour aux sources, soit vers La Ligne Rouge et Le Nouveau Monde. On aura même utilisé des mots savants comme panthéisme ou encore transcendance.
Je vais donc, par paresse et par fatigue (c'est qu'il est 22H15 au moment où j'ouvre mon PC), me contenter de jeter sur ce billet un ressenti. Et en commençant par aborder le seul point déstabilisant d' Une Vie Cachée : le fait d'entendre parler anglais alors que nous sommes dans la Haute-Autriche des années 40. Avant d'être fasciné par le soleil souverain, la beauté bouleversante de cette campagne à flanc de montagne se muant très rapidement en peinture du paradis perdu, le temps d'une transition sonore. Le temps éludé de la montée du poison dans les veines du monde.
Pour que la lumière qui irradiait jusqu'ici, comme dans nos souvenirs des jours heureux vire au clair obscur et que les nuages éclipsent le soleil. Un temps idéal pour le développement du fanatisme aveugle, de la pression de plus en plus insistante, de la réprobation et de la mise au ban du village
Le geste de résistance est intègre, à l'évidence, mais la conviction de Franz trouble la surface de l'eau de son existence d'ondes concentriques faisant vaciller sa place au sein de la communauté, son rôle d'époux et de père. Et la réprobation qu'elle engendre ne sera jamais plus subtile que dans cette image en forme de tableau, où la mère de Franz se découpe dans la lumière de l'une fenêtre des fenêtres de la maison familiale.
Et ce geste de résistance, Malick l'envisage dans quelque chose de bien plus grand. Un destin inéluctable et christique, dont le pouvoir et la bienveillance sont constamment remis en question, comme l'attitude de Franz, que l'on peut rapprocher d'une certaine forme de vanité, une volonté de s'inscrire dans l'histoire ou encore à une sorte de résilience jusqu'au boutiste en forme de chemin de croix.
Au point de rejoindre des autres personnages cinématographiques récents mis cruellement à l'épreuve tels que le père Rodrigues, celui rencontré dans Silence, ou encore le Desmond Doss de Tu Ne Tueras Point, en forme de sainte trinité d'une certaine idée de la foi, de sa représentation à l'écran et de son pouvoir.
Le portrait qu'exécute Une Vie Cachée de l'intime, de la souffrance et de l'épopée est à double ressort : celui de Franz, bien sûr, dont aucune des pensées et des sentiments ne sera passé sous silence, dans une évolution millimétrée, un poil nonchalante mais toujours juste. Mais il y a aussi le portrait de cette épouse : celle qui subit à la fois la perte mais aussi la nécessité de devenir le pilier d'une famille rejetée, la difficulté des tâches répétitives et des travaux des champs. Le tout s'inscrivant dans une sorte de célébration de l'ordre d'un monde faits d'évènements a priori anodins, du quotidien, du bruit du vent qui agite les feuilles des arbres du verger, ou celui du courant d'une rivière.
Franz, lui, a choisi de s'éloigner de cela dans une quête de soi qui ne peut qu'être qu'à sens unique. Jusqu'à rencontrer une sorte de libération, Une Vie cachée célébrant l'abandon consenti par son spectateur à sa mystique, à sa poésie et sa puissance d'évocation.
Behind_the_Mask, résiste, prouve que tu existes.