Le 12 décembre 1990, Uranus sort dans les salles de cinéma françaises et cela fait déjà presque cinq ans que la menace communiste n'inquiète plus aucun français. Mikhaïl Gorbatchev a lancé le glasnost qui altère la peur du pouvoir soviétique au sein même de l'URSS, et la perestroïka est un échec en raison de la corruption généralisée du parti communiste. Dans ce contexte, Uranus apparaît un peu comme un tir de roquette sur une ambulance qui n'avait déjà plus de roue. Bref, l'adaption fidèle de Claude Berri du roman de Marcel Aymé semble sinon anachronique, moins licensieuse qu'elle n'aurait pu l'être dix années auparavant.
C'est un portrait noir de la France d'après-guerre que nous présente Claude Berri. Les personnages sont à l'image des veaux évoqués par le Général de Gaulle : lâches, hypocrites, cupides, ivrognes, haineux ou encore arrivistes. Tous demeurent toutefois humains et il faut ici reconnaître la qualité de la fresque de personnages qui nous est proposée. Gérard Depardieu nous offre une superbe prestation en tenancier de bar brutal mais passionné de Jean Racine. Les autres acteurs n'ont pas à rougir non plus, même si la qualité de l'interprétation de chacun d'eux ne masque pas le manque de direction d'acteurs. Seul Michel Blanc ne semble pas réciter un texte tout droit sorti d'un ouvrage littéraire, ce qui nuit à l'immersion.
Difficile également de classer ce film : trop burlesque pour être un drame, mais pas assez simpliste ou manichéen pour être une comédie. On retiendra dans tous les cas de superbes tirades de Depardieu (pourtant très malheureux en prison) telles que "Ouais. La poésie, c'est mon affaire. C'est bien simple. Vous me donnez des vers et ma ration de blanc, et je reste en prison toute ma vie."; ou encore "Voyez-vous, monsieur, je vais vous dire une chose. En prison, c'est presque obligé, l'homme médite. Résultat, j'ai la poésie dans la viande".
Si le journal communiste L'Humanité avait qualifié le film à sa sortie en 1990 "d'anticommuniste" (ce qu'il est assurément) et de"poujadisme de gauche", ce n'est probablement pas uniquement à cause du traitement qui est réservé aux personnages communistes tout au long du film (Michel Blanc apparaît tout de même comme un bon père de famille dôté d'un solide bon sens, ce qui vient notamment contrebalancer le fanatique Fabrice Luchini), mais probablement parce qu'in fine, le film met bien dos à dos l'idéologie nazie et l'idéologie communiste telle qu'appliquée en URSS (et par le parti communiste français à la Libération).
On retiendra finalement la leçon de survie de Philippe Noiret, selon lequel, "Nous sommes des lâches et des hypocrites comme la majorité des gens. Mais c'est ce qu'il faut être en ce moment".