"J'ai marché en pensant à la France, la pauvre !". C'est savoureux à lire. Et carrément irrésistible dit avec le phrasé inimitable de Jean-Pierre Marielle. L'un des musts d'acteurs du film de Claude Berri, qui relit une page peu glorieuse de l'histoire en bleu-blanc-rouge. Chose rare !
L'oeuvre de Marcel Aymé adaptée est un éclairage cru, à l'échelle d'une petite ville, de ce que fut l'immédiat après-guerre, la Seconde... Générique de maisons en ruine, puis tout le film décortique l'effondrement des illusions, le dynamitage des valeurs établies. Patriotes sans héroïsme coincés entre hypocrisie et petites lâchetés, collabos par erreur ou par crapulerie, Forces Françaises de l'Intérieur (F.F.I.) en plein délire d'épuration, communistes en pleine paranoïa "lutte des classes", Vichistes de la 1re heure et résistants de la dernière... Très dérangeante galerie de portraits pour montrer qu'en 1945, au moment de "la grande lessive" entre Français, personne n'est vraiment blanc !
On mélange un peu les personnages, au début. Puis, de jubilatoires jeux d'acteurs font ressentir : le désarroi franchouillard (Jean-Pierre Marielle) ; l'idéal communiste (Michel Blanc) ; sa dérive synonyme de futur Goulag (Fabrice Luchini) ; l'enrichissement vil et veule (Michel Galabru) ; l'abus de pouvoir sous uniforme (Daniel Prévost) ; l'évasion farfelue (Philippe Noiret) vers la mystérieuse planète Uranus ; enfin, la dérisoire transfiguration via la poésie d'un bistrotier (Gérard Depardieu). Quel régal !
Cela donne des face-à-face où le populisme - mué en dérive sociétale en 2015 ! - contrebalance en partie les perversions en "isme". Et un film grand public, mais pas tous publics car bien des groupes ont de quoi crier idéologiquement au scandale, au procès d'intention.
"Uranus" a le mérite de "scalpelliser" la trouble société française de 1945. Quand De Gaulle était déjà un as, mais pas encore politiquement un astre !