Hands Across America, act II : Les doppelgängers coupent le cordon... à coup de ciseaux !

Deux ans après Get Out qui était un bon thriller psychologique avec beaucoup d'originalité mais quelque peu surestimé, Jordan Peele retourne derrière les caméras avec Us. Ce nouveau long-métrage est une seconde réussite et semble confirmer les talents du réalisateur qui est encore en début de carrière.

Attention, cette critique comporte de nombreux spoilers...

Nouveau cauchemar donc nouveau concept, celui de Get Out témoignait déjà d'une grande inventivité et nous sommes ici dans la même lignée. Us est lui-même un titre à double sens puisqu'il évoque d'une part les reliés, des êtres clonés issus de l'imagination de Jordan Peele. Ces humains nous ressemble et ont décidé de se montrer à la lumière du jours pour prendre la place de leurs semblables à la surface de la Terre en les tuant. On est plus dans un concept, on est dans une véritable mythologie ! C'est très intéressant ! Le titre évoque d'autre part les USA étant donné que le film critique une Amérique qui est prête à tout pour contrôler sa population, quitte à la cloner et laisser ces clones errer sans but et sombrer dans la folie en cas d'échec (le gouvernement n'est jamais directement cité mais étant donné la critique sociale, je pense que ça coule de source). D'une certaine manière on pourrait dire que le concept n'est pas manichéen puisqu'il n'évoque en rien des jumeaux maléfiques mais parle de gens qui ont simplement perdu la tête et veulent avoir la vie dont ils ont été privé (on notera par exemple des références à l'accès à la médecine, aux divertissements, à la nourriture, à la culture, au sport, à la technologie... juste à la base du bonheur ; tandis que nos personnages principaux vivent superficiellement, habitant dans des maisons hypers sophistiquées, faisant de la chirurgie esthétique, s'achetant des bateaux pour un été, passant leur temps sur leurs smartphones). Bref, les reliés veulent montrer au monde entier qu'ils existent, voir le soleil, avoir accès au bonheur de leur autre eux. L'Amérique où tout le monde se tien main dans la main de façon égale et où chacun est libre, n'est qu'hypocrisie, c'est ce que dénonce le réalisateur. D'ailleurs, il est bon que de rappeler que la chaîne humaine destinée à lutter contre la pauvreté, le Hands Across America a bien existé ;et que même pas la moitié des fonds récolter a été redistribué. Jordan Peele se sert de l'originalité du film pour en faire une véritable allégorie.

Néanmoins quelques défauts par rapport à l'écriture sont quand même à relever. Il y a tout d'abord quand même malgré tout un petit côté manichéen. Le véritable monstre n'est pas celui que l'on croît, tel est le propos du film mais Jordan Peele légitimisme ici ouvertement la violence de "ceux qui n'ont rien" ; c'est tout juste s'il ne donnerait pas une paire de ciseaux aux pauvres pendant la journée internationale contre la misère plutôt que de la nourriture... Bon là je caricature, c'est juste pour souligner que Peele a un peu un problème de nuance, Get Out souffrait déjà de ces soucis, notamment avec ses personnages blancs qui étaient tous des ordures sans aucune exception. Concernant le scénario, le concept étant très intéressant, ça aurait mérité beaucoup plus d'approfondissement et d'explication, notamment sur l'interdépendance entre les "gens normaux" et les reliés, sur l'implication et l'objectif du gouvernement et sur la vie des reliés ainsi l'intérêt de leur avoir donné des ciseaux type arme blanche. Il y a aussi quelques petits trucs pas très logiques, notamment au sujet du twist : pourquoi la véritable Adelaide a préféré vivre avec les reliés plutôt que de tout faire pour s'enfuir ? Pourquoi la "fausse" Adelaide n'a pas subi l'interdépendance de celle dont elle a pris la place (on a surtout l'impression que c'est ceux d'en bas qui subissent le contrôle de l'esprit) ? Enfin pour moi ça n'est pas crédible qu'autant de doppelgängers aient vécu dans les profondeurs de la Californie sans se faire repérer et surtout qu'ils aient conservé une parfaite condition physique en se nourrissant de lapin cru toute leur vie ; si les doubles c'était évadé d'un laboratoire sous terrain encore contrôlé par l'Etat ça aurait à mon sens été plus plausible. Mais malgré ces défauts d'écriture, il faut reconnaître la réelle volonté du réalisateur de faire quelque chose de nouveau, ça change des films d'horreur de possession démoniaque et de maison hantée.

L'ambiance du film est très bien maîtrisée. Us ne fait pas peur mais est très déstabilisant car parfois vraiment bizarre. Cela c'est grâce à la mise en scène de Jordan Peele et également à la prestation des acteurs puisque ceux-ci sont géniaux, que ce soit en incarnant les protagonistes principaux ou leurs doubles. Lupita Nyong'o est sans surprise excellente dans ses rôles, elle se montre badass pour l'un et vraiment terrifiante pour l'autre. Winston Duke est lui aussi très crédible et les jeunes acteurs incarnant les enfants ont été très bien dirigés. On ressent de plus une superbe alchimie entre tout les acteurs ! Ils sont si bons qu'on lis vraiment la peur sur le visage de leurs protagonistes. Concernant les doubles, il y a quelque chose que j'ai trouvé particulièrement flippant, ce sont leurs expressions faciales (leur regard et leur sourire diabolique) ainsi que leur étrange gestuel. Mais Us n'est pas qu'un film d'épouvante-horreur, c'est avant tout un film très psychologique et c'est ce qui est le plus efficace. C'est aussi un film qui peut être assez drôle par moment. Humoriste professionnel, Jordan Peele sait maîtriser l'humour au sens où il sait faire sourire. Cependant, il a du mal à doser cet humour, parfois il en met trop, ça a tendance à prendre trop de place face à l'horreur et le suspens et ça porte préjudice aux tensions mises en places dans certaines scènes.

Techniquement le film est plutôt réussi. Je développe rarement mes points de vue concernant les qualités photographiques dans mes critiques car je n'y connais pas grand chose ; mais je préciserais ici que la photo est vraiment bien maîtrisée dans ce film : les scènes sont filmées avec précision et certains plans sont plutôt intéressants. Le montage est quant à lui bien réalisé, les flashback sont utilisés au bon moment. Pour ce qui est de la bande originale composée par Michael Abels, elle est bonne elle aussi ! Elle est en effet stylée sans avoir de style particulier puisqu'elle alterne des musiques très différentes (comme du hip hop, du r&b, du vocal type opéra ou encore des remix instrumentaux), ce mélange peut être étonnant dans un film d'épouvante mais ça fonctionne très bien ici puisque c'est d'une part très agréable à écouter et d'autre part ça se fond particulièrement bien dans l'atmosphère du long-métrage.

Us rejoint la liste des petites claques horrifiques qui ces dernières années ont remonté le genre vers le haut. Il y a quelques défauts mais le film est malgré tout drôle, met mal à l'aise et est innovant, le résultat est donc vraiment positif ! Il n'y a plus qu'à espérer une troisième future réussite, avec un peu plus de subtilité et d’approfondissement pour que cette fois ça soit parfait.