Deux ans après le très bon Get Out, Jordan Peele revient ici avec son nouveau film Us, qui frôle encore l’excellence. A la frontière de Funny Games et d’un film de John Carpenter, le réalisateur américain nous prouve qu’il est le nouveau visage du cinéma d’horreur, de quoi concurrencer un certain James Wan ou encore M. Night Shyamalan. Malgré le talent de ces deux derniers, l’approche stylistique de Peele est sans doute plus originale.
Dans ce film, le genre de l’horreur n’est pas présenté de façon habituelle. A la place des récurrents jump scare dans les différents films d’horreur, où on se demande d’où va venir la peur et le sursaut, Jordan Peele nous propose ici une peur latente, une angoisse qui arrive par petits bouts. On retrouve donc ici plus une ambiance que de la réelle épouvante. Ce film ne cherche donc pas à nous faire peur, mais plutôt à nous confronter à nos propres angoisses. Qu’en serait-il si on devait combattre son propre double, ou celui d’un de nos proches ? Par ce film, on doit donc y voir un double niveau de lecture, tout comme Get Out et sa présentation d’un racisme latent, qui tendrait donc plus vers la survie en milieu hostile que de l’épouvante bête et méchante.
Dans la forme que prend Jordan Peele pour raconter l’histoire de Us, le réalisateur prend le pas sur M. Night Shyamalan. Un rythme relativement lent, une image très belle, très travaillée, très peu de plans, mais qui durent longtemps, à limite du plan séquence, et surtout le twist final, grande spécialité du réalisateur d’origine indienne. Surtout que Jordan Peele et M. Night Shyamalan sont tous deux produits par Jason Blum, via sa société Blumhouse, justement spécialisée dans le cinéma d’horreur. A noter aussi que c’est le même directeur de la photographie, Mike Gioulakis, qui s’est occupé de ce film et des deux derniers films de Shyamalan, à savoir Split et Glass. Un style singulier, avec très peu de mouvements, qui se retrouve tout au long du film.
Cependant, on ressent aussi que Jordan Peele vient du monde de l’humour, puisqu’il y a un certain décalage, ou plutôt une certaine dédramatisation de l’histoire proposée. Ainsi, le personnage de Gabe Wilson, le père de famille joué par Winston Duke, est beaucoup dans la dérision, la blague potache et le m’as-tu vu. Un personnage qui sert donc à décompresser dans une atmosphère pesante.
Puis, il y a l’excellente actrice mexico-kényane Lupita Nyong’o, qu’on avait pu découvrir dans le film Twelve Years a Slave ou plus récemment dans Black Panther, qui porte à elle seule ce film d’auteur/horreur. D’ailleurs, la meilleure scène du film la concerne et c’est vers la fin du film, lors du combat contre son double dans les sous-sols de la ville. Ce combat est mélangé avec des flashbacks du personnage d’Adelaïde enfant, ce qui donne un meilleur rythme, plus soutenu qu’au début du film.
Jordan Peele a aussi su composer avec le côté émotionnel de son récit et les forces et faiblesses de ses personnages principaux. D’un côté, nous avons le père de famille, qui veut s’assumer comme tel, mais qui sera assez rapidement affaiblie physiquement et va s’effacer au fur et à mesure dans le récit au profit du personnage d’Adelaïde.
Il y a ensuite une belle palette de personnages secondaires, en commençant par le couple d’amis. Le réalisateur ne les a, certes, pas assez développé, mais ils restent intéressants. A eux deux ils représentent certains travers de la nouvelle bourgeoisie. Toujours être jeune, beau et à la pointe des dernières nouveautés. D’ailleurs, les deux maris semblent prendre ce malin plaisir de jouer à celui qui aura la plus grosse… Aussi, le personnage de Kitty Tyler ne se cache pas d’avoir fait un lifting. Mais ce ne sera sans compter le retour de bâton que représentent les doubles. Comme dit le slogan de l’affiche française : Nous sommes notre pire ennemi.
Puis, il y a les rôles des enfants des personnages principaux. A commencer par la fille, en pleine phase de l’adolescence et qui a abandonnée la course à pieds, alors qu’elle semblait promise à un bel avenir dans ce sport. Elle devra, malgré elle, reprendre ‘’l’entraînement’’ afin de fuir son double. Il y a aussi son petit frère, qui semble être le plus sensible de la famille. C’est encore un enfant et a encore besoin de se construire, de trouver ses marques. Lui et son double représentent, sans doute, le mieux les deux facettes d’une même pièce. Par ailleurs, ce double est le seul à avoir des cicatrices, qui se trouvent être des brûlures autour de la bouche, sûrement pour mieux représenter la difficulté à s’exprimer. Puis, ils portent tous des masques qui font plus ou moins peur. Ces deux personnages sont les plus complémentaires, surtout que ce double est le seul à suivre les mouvements de la copie originale, ce qui aidera plus tard dans le film. Ils représentent donc à la fois des ennemis, mais aussi des amis. Ce double est comme l’ami imaginaire qu’attendait cet enfant, que certains trouvent bizarre. D’ailleurs, la performance de ce jeune acteur, Evan Alex, est à saluer grandement. A seulement dix ans, il est voué à une grande carrière. A son âge, peu de jeunes acteurs sont capables deux personnalités aussi différentes. Même certains adultes ne seraient pas capables de jouer comme lui.
Ce qui est aussi très intéressant dans ce film, c’est le fait qu’au tout début, Jordan Peel nous lance sur une piste concernant les tunnels abandonnés, routes non utilisées etc. Cette piste sera mise de côté durant les trois quarts, pour finalement éclore sur la fin. Cet aspect est comme une sorte de MacGuffin utilisé par le réalisateur. Ce procédé a été popularisé par Alfred Hitchcock et est un prétexte pour faire avancer l’histoire. Relayé au second plan tout au long du film, voir totalement effacé jusqu’à la fin du film, cette idée est traitée magistralement par le créateur de Get Out.
Pour aller dans ce même sens, dès le début du film Jordan Peele fait référence au verset 11 du chapitre 11 du Livre de Jérémie, présent dans l’Ancien Testament et qui dit : ‘’C’est pourquoi, ainsi parle le Seigneur : Voici que je fais venir sur eux un malheur auquel ils ne pourront échapper. Ils crieront vers moi, et je ne les écouterai pas.’’ A partir de là, de façon indirecte, le spectateur est donc prévenu du ton que va prendre le film. Les personnages principaux sont donc embarqués dans ce chaos et doivent survivre sans aide extérieure, puisque plus personne ne peut les entendre. La police ne répond pas à leurs appels et leurs amis se font tuer, de ce fait ces derniers ne peuvent plus les entendre et leur venir en aide.
Malgré toutes les qualités de cette œuvre, il y a quand même un problème qu’on pourrait relever. Plus on avance dans l’histoire de film, plus on connaît l’histoire du personnage d’Adelaïde Wilson et de son double maléfique, moins on est surpris par le twist final. Vers environ les trois quarts du film, voir même un peu avant, on peut assez facilement deviner ce qui pourrait se passer dans cette fin, malgré la beauté qu’elle apporte au film.