William Wyler s’intéresse de près ou de loin à l’affranchissement des barrières se mesurant à la liberté des personnages convoqués, sous toutes ses formes. Vacances romaines est une occasion parfaite pour affiner cette thématique, sous la présence d’une femme au regard angélique en la personne d’Audrey Hepburn. Ce film est sa révélation, mais surtout il renverra une image assez évidente de la femme-enfant délaissée du palais, découvrant la vie et les réalités du monde moderne. Cette image fut retranscrite dans la carrière entière de l’actrice, puisqu’elle signera par la suite plusieurs comédies romantiques aux performances semblables notamment chez Billy Wilder (Sabrina, Ariane).
Alors qu’une princesse se rend à Rome le temps d’une visite, elle décide de prendre congé en s’aventurant dans la ville. C’est un tout autre monde qui se dévoile, au-delà de la prison royale. Il pourrait se dresser les difficultés du succès professionnel, financier et l’idylle romantique…
Ce synopsis rend bien compte du projet de Wyler à l’origine, réaliser un film de princesse en délaissant le conte pour ancrer son récit au sein d’une réalité sociale. Cela n’est pas tellement surprenant, puisque Wyler vient de se sortir tout juste des Plus belles années de notre vie, s’illustrant déjà dans le quotidien en déséquilibre de soldats rescapés de la Seconde Guerre mondiale.
Ainsi, le réalisateur américain parvient déjà à poser le contexte qui illustre la triste vie du protagoniste, en l’espace d’une scène introductive. Alors que le palais reçoit des invités, Hepburn laisse sa chaussure de côté, quitte à ensuite prendre son temps pour la remette de manière maladroite. Le film pourrait se résumer à cette seule scène entière : une princesse ose l’irréparable, se sortir de son milieu en se dévoilant à nu auprès du public. C’est une scène qui renvoie également au caractère sexuel de façon implicite, se libérer des mœurs de sa classe sociale et aller voir ailleurs. C’est également le cas du sous-entendu de « coucher avec un homme », auquel Gregory Peck répond avec beaucoup d’humour, que physiquement c’est le cas, mais autrement non. Une façon détournée de respecter le Code HAYS, qui participe évidemment à l’élément comique du récit.
Mais que serait le long-métrage s’il n’était pas avant tout, une superbe comédie romantique ? Vacances Romaines fonctionne si bien pour une raison toute simple, il se définit comme un voyage et un temps épisodique de repos pour la princesse. Au fond, elle le sait elle-même que cela ne pourra pas durer mais en profite à chaque instant. Sans dire les mots justement appropriés et se comporter comme les autres en société, elle découvre le regard amoureux et la joie de vivre. Les expressions enfantines d’Hepburn sont à la fois charmantes et désarmantes, tant elles se corrèlent à celles de Peck. Lui-même se voit confronté à une situation toute semblable, choisissant de promettre le succès d’une entreprise qu’il sait d’avance compromise. Ce doublon de situations participe à la tension dramatique, le spectateur sait que rien ne pourra aboutir et qu’au mieux, le duo attachant pourra faire ses adieux de la plus belle façon qu’il soit.
William Wyler est un grand réalisateur de l’histoire du cinéma américain, et il convient de lui accorder tous les mérites de la retranscription romantique du récit, mais surtout du charme romain de la ville. Si le récit n’est pas sans rappeler celui de Voyage en Italie, sur les enjeux et le besoin de se retrouver en visitant les temples et autres figures ancestrales, Vacances romaines s’écarte assez nettement du néo-réalisme dans le style. Il ne faut pas oublier que le film est avant tout une comédie romantique, et le cinéaste préfère concentrer la dynamique narrative entre les personnages au lieu de la société. Cette impression peut décontenancer mais impressionne à la fois, Wyler parvenant tout de même à exprimer la réalité sociale d’époque. En l’espace d’une scène au restaurant, un entretien avec un patron, une soirée dansée, les choses se font comprendre : la ville est pauvre, peine à s’en sortir, mais ne cesse de vivre.
Le noir et blanc fut un choix économe pour la production mais se retrouve parfaitement approprié au long-métrage, donnant parfois l’impression de contempler un souvenir avant même qu’il le soit devenu pour les personnages. Le sens millimétré des cadres, que l’on connaît si bien chez le réalisateur, se retrouve dans ce film et à l’occasion des scènes les plus bouleversantes. Alors que la scène de la voiture dévoile la plus grande fragilité du couple impossible (couronnée par des dialogues à faire pleurer les chaumières), Wyler conclut sur une rencontre nouvelle des deux sous leur véritable apparence. Ce choix est malin, puisqu’il en revient à la scène introductive, ne pas pouvoir se dévoiler entièrement revient à contenir l’émotion. Le travelling arrière suit Hepburn saluer les journalistes de toute nationalité, et c’est là que le scoop de Peck intervient : la princesse est le même être que tous ceux présents dans la pièce, l’habitude sociale en moins.
A retrouver ici : https://cestquoilecinema.fr/retour-sur-vacances-romaines-1953-je-suis-venu-jai-vu-jai-vaincu/