Quand le Puy a tout faux (et pas nécessairement là où on le croit)

Bon... J'aurais pu aborder ce Vaincre ou mourir en m'amusant du simple fait qu'il s'ouvre sur une intervention de l'historien Reynald Secher ; lequel prend parole (avec quelques autres) dans l'intention manifeste d'apporter de la crédibilité à la vaste fable monarcho-catholique qu'est ce film. Oui j'aurais pu faire ça...
J'aurais pu m'amuser notamment du fait que les thèses fumeuses de cet historien se sont régulièrement faites démonter par la plupart des spécialistes de la question, notamment Jean-Clément Martin.
J'aurais pu aussi m'amuser à rappeler que, avec les Anne Rolland-Boulestreau et autres romanciers mobilisés dans cette intro, ce Vaincre ou mourir ne fait que mobiliser une brochette d'intervenants s'inscrivant tous plus ou moins ouvertement au sein de la mouvance catholique réactionnaire mais, sincèrement, je pense que ce serait une perte de temps que de s'attarder là-dessus.


Une perte de temps parce que j'ai tout d'abord l'impression qu'il n'y a aujourd'hui plus grand monde pour être dupe des intentions à peine voilées de ce film.
Dès l'intro l'annonce est faite : Vaincre ou mourir est une production du Puy du Fou, et il me semble que, de nos jours, peu sont celles et ceux qui ignorent encore que, derrière l'association et le célèbre parc à thèmes, se trouvent Philippe de Villiers et de nombreuses figures de la droite catholique traditionaliste ; lesquels aspirant au travers de chacun de leurs spectacles à diffuser leur version révisée de l'Histoire.
De toute façon, même sans ça, je n'ose imaginer qu'on puisse ne pas saisir les intentions profondes de ce film avec un pitch pareil : les héros royalistes de la Vendée face à la tyrannie républicaine...
Donc non. Pour ma part je trouve qu'il y a plus intéressant à dire au sujet de ce Vaincre ou mourir . Et moi ce qui m'a surtout taraudé comme question durant tout mon visionnage ça a été de savoir pourquoi les films produits par la droite réactionnaire sont-ils toujours aussi nuls ?


Parce que bon, si au moment de devoir alimenter l'algorithme du site en attribuant une note à ce Vaincre ou mourir je lui attribue un lapidaire 1/10, ce n'est pas (seulement) pour acter l'intérêt inexistant que suscitent chez moi les fantasmes de la sphère réactionnaire ou bien pour sanctionner la forfanterie intellectuelle qui structure et anime tout ce film.
Non, si je lui attribue un 1/10 c'est aussi et surtout parce que, cinématographiquement parlant, ce Vaincre et mourir est quand même sacrément mauvais.


Déjà difficile de passer à côté de la pauvreté de l'intrigue et du traitement des personnages. Du côté des pourfendeurs de la monarchie et du catholicisme on retrouve les victimes d'atrocités, les causes justes, les fidèles compagnons, les grands cœurs, l'honneur, l'amour du peuple – et même les bonnasses ! – tandis qu'en face on a la République génocidaire qui défile au bruit de la Wehrmacht, dirigée par des politicards sanguinaires et fourbes, et qui est prête à s'abaisser aux pires atrocités – jusqu'à s'en prendre aux p'tites n'enfants – pour gagner sa guerre...
Mais c'est d'un binaire.
De la part de gens qui entendent romancer l'histoire en la structurant autour de figures héroïques ça reste quand même vraiment du très mauvais roman avec de très mauvais héros...


...Mais en même temps pouvait-il en être autrement dans une oeuvre inspirée d'un esprit réactionnaire catholique ?
Parce que c'est quoi une bonne intrigue ? C'est quoi un bon traitement des personnages ?
En ce qui me concerne j'avoue me laisser prendre par une fiction sitôt me met-elle en mouvement ; sitôt m'interroge-t-elle ; sitôt m'intrigue-t-elle ; sitôt me mobilise-t-elle... Et pour y parvenir, généralement, il faut à mes yeux qu'elle ménage au spectateur des espaces libres d'interprétation ; de l'ambiguïté ; de la complexité...
Seulement, commencer à traiter la question de la Guerre de Vendée de manière complexe et nuancée, ce n'est clairement pas le projet de la ligue du Puy du Fou. On n'est pas là pour dire « c'était compliqué » ; on est là pour dire qui étaient les gentils dans leur droit et qui étaient les méchants tortionnaires de l'Histoire.
Au fond tout cela se tient...
...Pas étonnant d'ailleurs que tout cet esprit primaire se ressente aussi dans la forme.


Parce que oui, pour ce qui est aussi du langage purement cinématographique, ce Vaincre ou mourir y va aussi aux gros sabots.
En même temps il y a une logique à ça : vu que les enjeux scénaristiques sont vite éculés – la plupart du temps narrés à la voix off qui plus est (quel bel aveu d'échec) – ils devient indispensable pour le film d'espérer tenir le spectateur avec de la poudre aux yeux.
Ainsi la mise en scène, plus qu'au service du propos, est surtout pensée comme un art de l'enrobage.
C'est souvent de l'effet pour l'effet, pour ne pas dire de l'effet cache-misère. Visions mystiques avec reflets d'eau, agitations absurdes et plans serrés pendant les scènes de bataille pour cacher le manque de budget, montages cut, photo dark pour se donner du cachet : tout n'est là que faire illusion – pour combler le vide – quitte à sombrer dans une forme de caricature involontaire de ce qui se produit de plus cynique et de plus putassier de l'autre côté de l'Atlantique (ce que je ne peux m'empêcher de trouver fort ironique de la part de mouvances nationalistes).
Ajoutons à cela les musiques pompières qui tartinent à l'envie toutes les scènes que la réalisation peine à rendre épique (c'est-à-dire toutes les scènes) et tous les effets de chantage émotionnel à base de petites bouilles toutes mimi qu'on nous balance régulièrement pour nous faire associer le camp des héros à celui de l'innocence et de la pureté, et alors on pourra pleinement prendre la mesure d'à quel point la clique du Puy du Fou prend le public auquel il s'adresse pour des masses bêtes à manger du foin.


Mais ce qu'au demeurant je trouve triste dans toute cette histoire, c'est qu'en définitive ce Vaincre ou mourir ne m'est pas non plus apparu comme totalement vain et pleinement dénué d'intérêt.
L'air de rien, de par sa seule existence, ce film m'a rappelé à quel point la Révolution française reste un vaste champ à l'immense potentiel cinématographique mais que l'industrie du septième art hexagonal investit peu ou mal.
Parce qu'au bout du compte il aura juste suffi que cette farce s'y engage et vienne y produire ses représentations (toutes fallacieuses soient-elles) pour qu'elle me donne l'impression de combler un manque.
Quel dommage qu'il faille attendre les Fous de l'ordre ancien pour qu'on nous rappelle le terreau formidable qu'est la Révolution française en termes de situations, de personnages et d'images.


En fait, et d'une certaine manière, plus que d'une grossière imposture, c'est surtout d'une terrible occasion manquée dont ce Vaincre et mourir devient le symbole malgré lui.
Symbole d'un champ laissé à l'abandon. Symbole d'un cinéma national incapable de faire, pour le moment, mieux.
Car à part le Danton d'Andreizj Warda sorti en 1983, quels films le cinéma français a-t-il su sortir d'intéressant sur la période ?
Doit-on rappeler l'existence du lamentable Un peuple et son roi – dernier exercice en date – pour qu'on puisse prendre conscience qu'en termes de cinéma historique, ce ne sont pas que les fieffés réacs qui sont à la rue ?


Alors oui, encore une fois, on aurait très bien pu aborder ce Vaincre ou mourir sous l'angle de l'imposture intellectuelle. Mais, au moment de conclure cette critique, je maintiens une fois de plus que ce n'est clairement pas sous cet angle-là que ce film a le plus de choses à nous dire.
Qu'on prenne conscience d'à quel point le cinéma français est nul pour traiter l'un des évènements historiques les plus fascinants de l'Histoire et peut-être qu'enfin on prendra conscience d'à quel point l'obscurantisme, chez nous, ne se puise pas qu'au seul Puy du fou...

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le 30 janv. 2023

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