Dans les grandes lignes, le documentaire produit par A24 est assez proche de Jim & Andy. Sauf que ce dernier nous révélait Jim Carrey au travers de sa "transformation" en Andy Kaufman. Alors qu'ici, on découvre ce qui a mené Val à devenir Kilmer. Le comédien, mutilé par un cancer de la gorge, se plie à l'exercice avec une incroyable honnêteté. Et pour cause, il a passé sa vie à l'enregistrer, empilant les archives de ce qui pourrait s'apparenter à une authentique bibliothèque privée. Tout est là : films de famille, courts-métrages, représentations sur scène, bandes-démos, coulisses, préparations, et les confidences que l'acteur s'efforce de rendre intelligibles malgré le dispositif médical. De sa génération, on croise quelques beaux poissons, au hasard Tom Cruise, Sean Penn ou Kevin Bacon. Il aurait pu les rejoindre, mais Kilmer a vite adopté le comportement d'une anguille à force d'excentricités et d'un tempérament pour le moins turbulent. Comme il le fait dire par son fils (Jack Kilmer, qui narre Val), c'est maintenant qu'il n'a plus de voix qu'il décide de se raconter.
L'affiche le suggérait, les premières minutes joue avec l'idée, celle d'un patchwork assemblé par instantanés, des moments figés dans l'existence de l'Homme mais décisifs dans le parcours de l'Artiste. Force est de constater que les réalisateurs Leo Scott et Ting Poo ont saisi quelque chose de spécial. Le genre d'angle qui sans changer la filmographie contrastée du comédien pourrait tout de même lui donner un nouvel éclairage. À ceux qui s'attendaient à une mine d'anecdotes sur les productions iconiques auxquelles il a participé, sachez qu'elles sont finalement peu nombreuses. Tout au plus le comédien nuance-t-il certaines légendes (la rivalité avec Cruise) ou donne quelques bribes pour en étayer d'autres (The Doors qui a essoré son couple). Un peu frustrant d'accord, mais ce n'est pas le sujet, tout bêtement. On suit le déroulé de manière chronologique, mais la narration fait vite comprendre que certains évènements feront échos tout du long. Sans rentrer dans les détails, sachez qu'il n'est pas aisé de garder les yeux au sec quand on réalise l'impact d'une tragédie sur certains rôles endossés par Kilmer. Au centre de tous Batman Forever, son choix le plus commercial en réalité le plus personnel. C'est à peu près là qu'on situe la descente de l'étoile montante vers une grande zone de turbulences, comme si la désillusion autour du film l'avait totalement déboussolée. S'ensuivra une attitude de plus en plus inconstante, une seconde partie de carrière en dent de scie qui perdurera jusqu'à sa trachéotomie en 2014.
Le rideau est pourtant loin d'être tombé. Loin de la fièvre et du fric, Val est un fils aimant, un papa aux petits soins, un homme terriblement sensible et un artiste jamais meilleur qu'en activité. Comme il s'est efforcé de garder le meilleur de ses deux parents (la spiritualité de sa mère par exemple), l'acteur se donne sans compter pour transmettre cette amour de l'art. Il faut le voir participer à la rétro en plein air consacrée à Tombstone, signer des autographes par centaines au Comic-Con avant de s'effondrer d'épuisement...puis recommencer. Il joue le jeu de bon cœur, quand bien même ce doux renvoi au passé a son revers de la médaille, sur le plan physique ou moral. Difficile de ne pas être admiratif et impossible de ne pas être dévasté par un tel dévouement. Un enchevêtrement de sentiments contradictoires qui colle aussi parfaitement à la pièce consacrée à l'écrivain Mark Twain écrite et interprétée par Kilmer, accomplissement en forme de boucle parfaite dans laquelle le saltimbanque plaquait ses obsessions vis à vis de l'art et de la mort. Si cette tentative fut écourtée en raison de la maladie, il faut la voir comme une transition parfaite vers un nouveau chapitre que le comédien entend écrire à plusieurs mains. En permettant aux générations suivantes de perpétuer cet esprit de création par le texte et l'image, Val clôt le documentaire par la plus belle révérence possible au clan Kilmer, de Wesley le petit frère parti trop tôt aux enfants Jack et Mercedes...et bien sûr Val lui-même.