Le zombie. À force d’être cuisiné à toutes les sauces par une multitude de réalisateurs carnassiers (George A. Romero ou Zack Snyder pour ne citer que les plus célèbres), on en oublierait presque l’origine haïtienne du terme. Un zombie (ou zonbie) désigne ainsi un mort qui vient d’être ramené à la vie par un sorcier vaudou. Pour son neuvième long métrage américain, l’infatigable Jacques Tourneur nous entraîne en territoire Haïtien, là où les poupées s’animent et où les morts vous poursuivent inlassablement…
Le film commence alors que Betsy, jeune infirmière fraichement diplômée, se voit proposer un job d’un genre un peu spécial. Celle-ci est invitée à vivre sur une île proche d’Haïti afin de soigner une jeune femme qui semble avoir été envoutée par des rites vaudous. Commence alors pour Betsy une enquête aux confins du réel dans un manoir colonial qui se referme petit à petit sur elle même.
Après avoir fait remporter aux studios la modique somme de 4 millions de dollars (sur un budget initial de 130 mille dollars !), grâce à son précédent film La Féline, Jacques Tourneur devient le réalisateur le plus bankable du moment. Rien de plus naturel, donc, qu’il se voit confier un nouveau film pour un budget à peine supérieur. Pourtant, cette absence de moyens n’est aucunement un frein pour Tourneur, dont tout l’art horrifique réside dans la suggestion et le non-dit. Contrairement à La Féline dont l’intrigue se déroulait dans un cadre urbain familier des spectateurs de l’époque, Vaudou entraîne ses spectateurs dans un « ailleurs » propice au dépaysement mystérieux. Plus que jamais, Tourneur distille une ambiance étrange et fantastique, sans jamais basculer du côté de la démonstration horrifique. La photographie met en valeur des ombres menaçantes tandis que la bande-son à base de percussions lancinantes crée une sensation d’envoutement permanent. Tourneur démontre avec brio que la véritable épouvante ne réside pas dans ce que les images montrent, mais dans ce qu’elles suggèrent, laissant ainsi une place importante à l’imagination du spectateur. Le spectateur est entraîné au milieu de ce qu’il ne connaît pas, devenant ainsi, comme l’héroïne, le jouet d’une machination qui se trame tout autour de lui.
Comme pour Rendez-vous avec la peur, malheureusement charcuté par les studios qui imposèrent à Tourneur d’y incorporer des scènes horrifiques au kitsch désolant, Tourneur redonne à la notion de fantastique sa pleine et entière définition. Le fantastique devient ce moment d’hésitation au cours duquel nous ne savons pas si nous sommes dans un univers réel ou bien dans un cadre surnaturel. Ce n’est d’ailleurs pas un grand spoiler que de le dévoiler, nous ne saurons jamais si les différents évènements qui se déroulent dans Vaudou répondent à des forces obscures ou ne sont que le fruit du hasard. Au principe de suggestion dont Tourneur est passé maître se rajoute celui de l’incertitude et du doute permanent.
Le film est structuré autour d’une scène centrale, véritable monument de poésie et de beauté horrifique. L’héroïne, accompagnée de sa patiente, doit se frayer un chemin à travers un champ de cannes à sucre afin de rejoindre un lieu de rendez-vous vaudou tenu secret. Cette scène, qui se déroule sans paroles, révèle tout le talent de Tourneur pour la mise en scène. Chaque élément (un cadavre de chien pendu, le vent dans les feuilles) prend une tournure fantastique qui ne rend que plus effrayante la rencontre avec le mystérieux zombie gardien des lieux. Une scène qui, malgré les 70 années qui nous en séparent, révèle bien à quel point la modernité de la mise en scène de Tourneur est intemporelle.
Voir Vaudou, c’est aussi prendre conscience de l’influence que le film a pu avoir sur certaines œuvres horrifiques récentes qui privilégient le non-dit et le hors champ. Le récent It follows de David Robert Mitchell en est un bon exemple, puisque ce dernier exploite le motif de la créature qui suit inlassablement ses victimes – motif déjà initié dans Vaudou. À l’heure où les réalisateurs épuisent leurs spectateurs à coup de gimmicks éculés et de « scare-jump » redondants, se replonger dans l’œuvre de Tourneur s’avère d’une fraicheur revigorante. Comme le dit l’expression, c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs zombies.
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