Vénus Noire permet à Kechiche d'inscrire ses thématiques et ses idées de mise en scène dans un décor digne d'Emile Zola, durant le XIXème siècle et à travers une partie de la vie de Saartjie Baartman, la Vénus Hottentote.
Celle-ci ne parle guère, tout est dans le regard, les expressions ou les mouvements, et c'est bien là une partie du génie de Kechiche, il n'a pas besoin des mots pour que l'on comprenne et surtout ressente les sensations et idées. Il n'y a pas d'artifice, il est dans le vrai et ses mouvements de caméra épousent parfaitement les spectacles qu'il met en scène, il capte les émotions et on oublie que l'on regarde un film, on le vit.
Les séquences sont parfois longues, on a le temps de s'imprégner de l'ambiance, de ressentir ce qu'il se passe, le malaise qu'il peut y avoir et que Kechiche véhicule. On est plongé dans la crasse humaine, rappelant parfois la littérature de Zola, dans le mépris de la population envers la Vénus noire. Il n'est pas non plus dans le jugement d'une autre époque mais dans le constat, chacun pensant être dans la réalité. Il y a de nombreuses réflexions qui sont subtilement insérées, que ce soit sur la société du spectacle, la vision par différents groupes sociaux de Saartjie ou sur le temps et l'évolution.
C'est entre les longues séquences d'humiliation que l'on trouve ces propos, à l'image du procès londonien où les étendards de la bien-pensance vont se retrouver face à leur propre racisme, méprisant cette femme se considérant comme actrice et ne voyant pas ses représentations comme du racisme. Vénus Noire c'est aussi des tableaux d'un autre temps, Kechiche inscrit son oeuvre dans de superbes peintures, accentuant l'idée de vrai, que ce soit durant les spectacles ou, par exemple, lorsque la protagoniste se retrouve face à des groupes de scientifiques, de son vivant ou non.
Il ne cherche pas spécialement un équilibre entre les différentes séquences et tons mais vraiment à nous immerger au cœur de cette histoire où le terme humanité va prendre tous ses sens, tant les bons que les mauvais. Il s'attarde parfois sur de simples détails qui donnent une richesse au récit, que ce soit dans les arrières-plans ou que l'on peut lire sur le visage des personnages. Enfin, et comme souvent, Kechiche se montre à l'aise dans la direction d'acteurs, ceux-ci s'effacent totalement derrière les personnages, ils ne font plus qu'un, à l'image d'Olivier Gourmet.
En signant Vénus noire, Abdellatif Kechiche nous plonge dans des tableaux du XIXème siècle où le malaise, les humiliations et le spectacle vont être mis en scène avec intensité, réalisme et talent, il nous y entraîne, nous faisant ressentir tout un panel de sensations mais aussi de réflexions, sur l'histoire, le temps et l'humain.