Alors que nous arrivons au terme de l’année 2023, le constat est pour moi sans appel, ce fut une des pire année en terme de cinéma d’horreur. Que ce soit les grosses licences ou les films plus confidentiels, presque rien n’a réussit à me charmer, au point de donner un certain crédit à un film d’un réalisateur aussi moyen que Mathieu Turi (même si je concède que Gueules Noires reste une bonne surprise). Justement, entre ce Germinal Descent et Le Vourdalak d’Adrien Beau, les français ont au moins su créer le beau temps dans la pluie du cinéma de genre occidental. C’est là où intervient, comme Adrien Beau, un jeune réalisateur et par conséquent, un premier film, plus précisément encore, un huis-clos dans un immeuble de cité qui va se retrouver face à une situation de crise dont peu pourraient ressortir vivant. Non il ne s’agit pas du tournage de la suite de La Tour, et par conséquent, pas d’Hatik sur le tournage ; mais plutôt une petite colonie d’araignées qui vont peu à peu envahir les habitats des uns et des autres, voire habiter les uns et les autres tout court (et oui, c’est beau la nature). Un pitch simple et efficace, qui est utilisé par Sébastien Vaniček à la fois comme un outil de terreur que de vecteur social.
Qu’on se le dise, une proposition aussi radicale fait du bien en France, pas forcément pour des velléités esthétiques complexes comme chez Nicloux, mais bien pour sa note d’intention principale qui déborde du premier film de Sébastien Vaniček : faire de la série B généreuse, du divertissement de qualité qui vaille la place acheté par le spectateur. Je suis d’habitude très méfiant face à ce genre de discours, parce que trop souvent utilisée par populisme, comme ça a été le cas récemment avec Jérôme Seydoux et ses ô combien réussis, divertissants et impressionnants L’Empire du milieu, La vie pour de vraie et j’en passe. Sauf que contrairement à un financier sans talent ou point de vue artistique, Sébastien Vaniček ne se contente pas de simplement promettre du grand spectacle, il l’offre, et avec des moyens pour le coup bien plus réduis mais qui s’accorde justement avec ce désir de série B, qui force à bricoler, trouver des combines et mettre le peu d’argent disponible dans les scènes les importantes et potentiellement mémorables. Du potentiel, Vermines en a clairement sous le capot, se plaçant directement dans les représentants du film de monstre, avec ses araignées bien moins ordinaires qu’on peut le penser au premier abord, qui infiltrent de plus en plus un décor restrictif qui devient pourtant la qualité principale du long-métrage de Sébastien Vaniček : le sentiment d’oppression voire de suffocation. En effet, je ne vous apprendrai rien en vous disant que les araignées peuvent faire peur, et font déjà peur à bon nombres de personnes atteintes d’arachnophobie, et au-delà d’exploiter ce thème abordé par le biais d’un des personnages du quintet principal, le metteur en scène exploite le sentiment de dégoût ou de terreur que peuvent provoquer ces vermines. L’accumulation de petites bêtes, la présence plus ou moins abondante et inévitable de toiles, leur don de se cacher dans des recoins sombres, de grimper à une vitesse ahurissante sur toutes les surfaces praticables, etc, tout ça, le film l’exploite avec goût dans sa mise en scène. D’autant plus que le metteur en scène exploite très bien le mélange entre les vfx et le concret, avec des séquences très chorégraphiées où les arachnides sont maîtrisées autant pour les idées horrifiques de Vermines que ses besoins logistiques, et d’autres où ces dernières sont belles et bien là, et donnent un sentiment d’authenticité à l’ensemble voire d’imprévisibilité ; comme si le film pouvait basculer d’un moment à l’autre face à cette menace. Pourtant, les éléments d’horreur de Vermines sont assez classiques, alternant entre une tension sèche et des quasi jumpscares, où l’irruption de ces invités pas très recommandables viennent surprendre et donner des frissons au spectateur. Or, là où ce genre de mécanique est risible, le réalisateur la détourne pour la rendre totalement diabolique, en transformant l’attente du jumpscare en appréhension, et en ne jouant pas l’arrivée surprise des bébêtes là où la caméra ne regardait pas, mais au contraire, en nous mettant le nez dans l’horreur, et en tirant petit à petit un fil plus ou moins long vers l’attaque tant redoutée. Dès lors, ces « jumpscare » n’en sont pas vraiment, car en plus de faire sursauter, au lieu de conclure la scène d’horreur, leur arrivée ne fait que la pimenter et alourdir encore plus l’oppression et la tension ressentie pendant le long-métrage.
Une oppression d’autant plus accentuée par le décor du film, en quasi huis-clos, qui ne sort que pour ses premières scènes avant de rester dans cet immeuble de plus en plus invivable. Là où c’est fort, c’est qu’avec un insecte aussi simple et pourtant abusivement utilisé que l’araignée, difficile d’innover et à la place, l’équipe derrière Vermines décide d’y aller à fond les ballons, autant dans son concept que sa mise en scène. Effectivement, on comprend petit à petit que l’araignée qu’à pécho (pour citer les personnages) Kaleb n’est pas que venimeuse, elle cache aussi un ou deux secrets qui en font autant sa dangerosité que son charme (si on peut appeler ça comme ça). Donc la situation tout d’abord horrifique se transforme petit à petit en quasi scène de catastrophe, et avec l’ampleur que prend son récit, Sébastien Vaniček ose toutes les folies et fait décoller son film de la banale survie horrifique au parcours claustrophobe et imprévisible. Même si je trouve les scènes de mise à mort malheureusement pas assez graphiques à mon goût, le metteur en scène à tout de même le don de créer des séquences profondément dérangeantes, pourtant liées à quelque chose d’aussi banal dans le cinéma d’horreur, pour tirer son épingle du jeu, et par dessus tout accentuer le danger que représente cet ennemi de plus en plus dangereux. En terme de mise en scène, en dépit d’un montage accentué par des coupes souvent très visibles et hachées menues, qui participent autant à un sentiment de suffocation que de ratage voire de mal de crâne, aussi malgré une première moitié assez simple à ce niveau (bien qu’efficace dans les scènes les plus propices à l’horreur), très vite, Vermines devient vraiment inventif ou au moins impressionnant dans ses visuels tout simplement cauchemardesques. Captant toujours l’étroitesse de son décor et par dessus tout la monstruosité de son antagoniste, le film offre des visuels à la fois iconiques, qui impriment la rétine, mais qui n’oublient pas de donner des frissons quand aux agissement des dites araignées ; grouillant à l’écran, mais arrivant toujours à créer malgré cela de beaux effets de surprise. La violence du film n’est pas en reste, d’autant qu’en plus d’être psychologique, elle est aussi physique. Encore une fois, si j’aurais souhaité des mises à mort plus explicites et gores, le film joue bien plus la carte du dérangeant, entre la lente et douloureuse mort par poison ou un personnage coincé sous une gigantesque toile, Sébastien Vaniček sait être inventif et rendre marquant la mort. D’autant quand cette dernière vient directement affecter un personnage, dans un cri de désespoir long et intense, qui fait dériver l’horreur vers le drame, jusqu’à un des derniers plans qui fasse le bilan du désastre humain. Bref, avec un concept qui pourrait pourtant paraître répétitif, Sébastien Vaniček arrive à tirer de ses vermines de l’effroi et de la tension qui font froid dans le dos, d’autant plus quand ce dernier arrive à combiner des concepts de scène très prometteuse, avec un sens du cadre qui amplifie le sentiment de terreur et de suspens.
En terme de mise en scène, Vermines s’en sort admirablement et rend effectivement un très bel hommage à la série B fauchée mais généreuse ; en revanche, là où il pêche beaucoup, c’est sur son écriture qui découle vers de nombreux points noirs qui entachent la globalité du long-métrage ; ayant autant à voir avec son contexte social que son aspect série B bourrine. A ce niveau, Sébastien Vaniček passe selon moi par beaucoup d’attendus, trop d’attendus mêmes, autant par rapport à l’histoire en elle-même, mais surtout par rapport au genre de l’horreur. Si dans un second temps, il arrive à transformer la prévision en appréhension, il en reste qu’au moins la bonne première moitié du long-métrage est pour moi en pilote automatique. Avant l’invasion des-dites araignées, le film va d’abord présenter la plupart de ses personnages et surtout son décor, à savoir un immeuble de cité. Au-delà de l’aspect politique et social qui est bien plus conséquent que ce à quoi on pourrait s’attendre, Vermines garde avant tout dans son récit un bon nombre de personnages qui sont au cœur de la première moitié du film, mais qui part leur manque cruel de développement ressemblent bien plus à de la chaire à canon. Là où le récent Gueules Noires arrivait par son premier acte à poser des personnages pas forcément moins clichés que chez Sébastien Vaniček, ce dernier ne fait, pour ma part, que les balancer à la volée. Leur développement m’a paru vraiment pauvre, tout en laissant peu de place au groupe principal, qui reste attachant bien que mon empathie ne soit vraiment au rendez-vous qu’à partir du moment où les araignées attaquent et qu’ils n’ont d’autre choix que de s’entraider pour survivre. Une empathie bien aidée par le casting, avec les déjà très bons et reconnus Finnegan Oldfield et Jérôme Niel, puis quelques découvertes comme Théo Christine, Sofia Lesaffre et Lisa Nyarko, qui apportent beaucoup de vie à leurs personnages et aux situations autant tragiques, comiques, qu’horrifiques, malgré que leur écriture et développement soit toujours très cliché, autant par rapport à leur condition sociale que leur condition de personnage. Deux conditions dans lesquelles s’embourbent les autres personnages de cette cité, qui sont pour moi bien plus fonctionnels que vivants. Pourtant de la vie, c’est pas ce qui manque de Vermines, mais c’est aussi un reproche que je vais cependant immédiatement nuancer. En fait, je trouve le film très bruyant et vulgaire pour pas grand-chose, sans renier évidemment le contexte social qui est bien plus prompt à un langage fleuri, c’est plus le langage cinématographique que je voudrais remettre en question ici. Entre son découpage très marqué, multipliant les plans et laissant rarement respirer l’action, ses nombreux gros plans qui resserrent les décors et personnages, ou encore le brouhaha et les dialogues qui viennent accentuer l’étouffement général. Dit comme ça, il y a une matière riche à explorer pour renforcer l’angoisse et le sentiment d’enfermement que cherche à créer Sébastien Vaniček, mais pour ma part, la gestion de ces points et/ou leur combinaison m’a par moment simplement sortit du film. J’avais l’impression qu’on voulait trop en faire, et ça m’a encore plus éloigné du cadre et des personnages, dont le traitement n’a pas reçu la justesse que j’espérai malgré un dévouement total de l’équipe du film.
Cependant, là où Vermines reste quand même à voir, c’est que même dans ses plus grosses conneries, il y a une forme d’insouciance ou alors d’inconscience (je ne sais pas encore) ; bref, une envie de foutre les potards à fond, pousser l’adrénaline et la série B au summum, quitte à faire des sorties de route incongrues mais surtout inattendues. Pour se faire, après la forme déjà pas des plus subtile, rien de mieux que de parler du fond, et ce dernier respire clairement le culot dans son aspect social comme politique, bien qu’ils permettent tous deux de renforcer la globalité du long-métrage. Tout d’abord, il me paraît important de rappeler que Vermines parle de maltraitance animale, de trafic animal, jusqu’au rapport entre l’humain et la bestiole. Des thématique qui touchent Sébastien Vaniček et qu’il traite ici dans son scénario. Or, là où l’intérêt grandit pour ma part, c’est que ces divers thèmes vont offrir une ambiguïté inattendu aux araignées, jusqu’à une dernière confrontation très forte, qui cherche à repenser notre point de vue sur ce que beaucoup appellent vermine. Et de la vermine, c’est justement ce dont parle Sébastien Vaniček avec son film, mais cette fois-ci, une bien plus commune à notre vie de tous les jours, et qui sont incarnés par tous les personnages du film. Tous d’abord par ces banlieusards, qui part leur caractérisation et jeu déjà évoqué, peuvent être assimilé au cliché que certains se font des habitants de cité, mais aussi car comme les araignées qu’ils cherchent à fuir, ils laissent transparaître un sentiment de rejet pour ce qu’ils sont et leurs assimilations peu flatteuses. D’autant que ceux infectés par une piqûre, dans leur dernier souffle, tentent d’appeler à l’aide en vain face au dégoût et la peur des non-infectés. En bref, le réalisateur créé un parallèle entre ces deux groupes de personnages, (les araignées s’assimilant plus par le groupe que leur individualité) dans l’objectif de redonner un second souffle au cinéma de banlieues et créer une profondeur inattendu dans son discours. Une profondeur assez classique dans son déroulé mais qui ne laisse pas imaginer le traitement d’un dernier groupe de vermine, un invité surprise qui rebat les cartes, à savoir les policiers. Car oui, nous sommes bien là face à un film militant de gros gauchiste insoumis qui vient défendre la racaille et patati et patata. Clairement, je doute que Sébastien Vaniček ait innocemment inclus les personnages de flics dans son récit, puisque bien qu’il accentue avant tout son discours sur le traitement des animaux, Vermines inclus petit à petit le réel antagoniste du film, avec ces flics qui enferment les habitants de la cité pour contenir l’invasion, et qui ne savent qu’employer la manière forte pour faire respecter la loi et l’ordre. La subtilité c’est pas le fort de Sébastien Vaniček, clairement, mais là où ce genre de partit pris peut énerver par son manichéisme assumé, le réalisateur réussit selon moi à garder le cap, non pas en nuançant son propos mais en faisant l’exact inverse. Le climax du film est dès lors à la fois con, mais aussi extrêmement jouissif, impertinent voire malpolis, mais extrêmement efficace dans son dispositif qui ferait passer Athéna pour un documentaire. Jusqu’à la résolution finale de l’invasion de ses bêbêtes, le film va trop loin. Si c’est risible sur de nombreux aspects, et que politiquement parlant Vermines n’apportera pas grand-chose, il garde le don de parler de sujets actuels, d’une colère contemporaine assouvie avec générosité, franchise et maîtrise technique comme esthétique par Sébastien Vaniček. Après tout Joe Dante disait bien :
« Si vous voulez en savoir plus sur ce qui se passe dans n’importe quel pays à n’importe quel moment, regardez ses films d’horreur »,
et ça peut autant être le plus pertinent et profond des « elevated horror » que la plus décomplexée et généreuse des séries B.
Vermines est très con par instants, il passe par de nombreux défauts du premier film, à commencer par son écriture très inégale et qui manque de subtilité. Cependant, Sébastien Vaniček balaie à moitié ce reproche en proposant un premier long-métrage ultra prometteur, avec des visuels et une mise en scène à la fois cauchemardesque et très aboutie, qui accentue encore plus une tension jusqu’au boutiste qui fera même grincer des dents les moins arachnophobes.