Vermines
6.7
Vermines

Film de Sébastien Vaniček (2023)

En bon arachnophobe (une araignée dans la maison ? On dort dans le jardin), cette séance de Vermines fut une monstrueuse épreuve, dont on ne serait certainement pas arrivé à bout sans la bonne pote qui nous a prêté son bras (en confettis à la fin du film). Pour un premier film, Sébastien Vanicek nous sert un cauchemar de qualité, qui joue énormément sur l'expérience cinéma (aussi, "attendre qu'il passe à la télé" sera la plus grande erreur du spectateur) : montage son d'une rare finesse (les "tiktiktik" - oui, on le fait très mal - que font les araignées deviennent des effets pavloviens : on les entend à peine, qu'on est en sudation, alors qu'il n'y a rien), l'obscurité totale de certains plans permettent de voir un bout de patte au loin (on souhaite bon courage aux téléspectateurs aux salons éclairés pour y voir quelque chose), et il y a quelque chose de fascinant à entendre les autres spectateurs couiner (en plus de nous) devant les scènes de bestioles qui grouillent, grimpent sur les gens, sortent des canalisations, descendent au bout de leur fil, lèvent les pattes avant pour attaquer, etc... Comme si chacun mettait sa peur intime à l'épreuve (araignée, enfermement, obscurité, maladie), avec un climat social étouffant (il réussit ce que La Tour de Guillaume Nicloux ratait lamentablement), nous présentant des personnages des cités qui sont attachants, qui ont un passif compliqué entre eux (ce qui épaissit le lien que l'on a à eux : on sait pourquoi le jeune Kaleb aime collectionner les bestioles exotiques et potentiellement dangereuses, on sait pourquoi il ne s'entend plus avec sa sœur ni un ancien ami...). Autant de sous-intrigues que le film n'avait fondamentalement pas besoin de nous donner (de nombreux mauvais films d'horreur ne s'embarrassent pas de caractériser leurs personnages "chair à canon"), mais Vanicek sait qu'on transpirera plus si l'on a l'impression de connaître et comprendre le personnage qui frôle la tarentule, il sait qu'on aura ce petit sourire narquois devant le gros plan sur les baskets "TN" juste après que le personnage nous a dit qu'il

"mourra dans ses TN"

, il sait qu'il nous donnera envie de ne pas trop regarder à la vraisemblance de son scénario (le point faible du film) si l'on est occupé à ressentir le film plutôt qu'à l'intellectualiser. Car oui, le propos de "qui est la véritable vermine, dans cette cité ?" est aussi fin qu'un bulldozer (

le voisin raciste qui répète "Rentrez chez vous !", les flics qui n'écoutent pas et gazent directement les jeunes comme les araignées, le flic qui étouffe le gamin longuement - on devine presque le "I can't breathe" sous-entendu par la scène -...

Oui, ce n'est pas fin, mais au moins on comprend vite), oui, les situations sont souvent improbables (on ne parle pas de l'invasion-éclair ni du grossissement fantastique des araignées, mais bien des

flics qui rentrent facilement d'on ne sait quelle issue, alors que les jeunes qui sont censés connaître l'immeuble pensent à grimper quinze étages pour s'enfuir, le fait que l'immense araignée finale s'en aille gentiment "parce que les araignées se défendent seulement" alors que les autres modèles ont tué la voisine qui regardait tranquillement sa télévision ou le papy qui avait fait l'effort de ne pas les tuer...).

Allez, on retient surtout les plans hallucinants pour un premier film : le plan "qui tourne dans le couloir infesté", le "clip" qui montre tous les habitants

en train de mourir (le plan "pote qui fume pour mourir sans souffrance", le plan "amoureux qui se disent au-revoir avec l'araignée en arrière-plan"... Un des meilleurs moments du film !), la séquence dans les escaliers où chaque retournement donne une vision soudaine des araignées qui foncent sur les jeunes (on a cru crever), le plan statique et généreux sur le monstre final (fascinant et terrifiant)...

Il y a du cinéma dans Vermines, ce qui fait amplement passer les facilités de scénario, nous éblouit entre deux sursauts, donne à voir des performances impeccables de Théo Christine, Sofia Lesaffre, Lisa Nyarko, Jérôme Niel, Finnegan Oldfield, mais aussi quelques seconds rôles de comédies potaches qu'on n'attendait pas dans un tel film (Marie-Philomène Nga et Mahamadou Sangaré, impecc' aussi), redonne de la noblesse à des personnages de cité (qui s'entraident plutôt que de s'entre-déchirer le plus bassement du front possible... Coucou, La Tour), et fait même siens les codes de la "street" : film nerveux, ponctué de cynisme drôle, de punchlines... Vermines comprend son sujet, se l'approprie, sait avoir du cœur pour ses personnages, et de l'intelligence pour ses monstres. On a fait notre sport du mois (trois litres de transpi et pédalage aérien en continu), et il nous reste juste assez d'énergie pour vous recommander chaudement d'aller voir ce cauchemar fascinant.

Aude_L
8
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le 30 janv. 2024

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Aude_L

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