La mort au cinéma. Vaste question. J'avoue que le zombie dans le titre est plus pour attirer bassement l'attention. Mais posons tout de même quelques questions. Je ne suis pas fan des films d'amour, donc je le traiterais dans le sens de la mort. De toutes manières, cela ne parle que de cela.
Vers l'autre rive, film japonais de Kiyoshi Kurosawa, est l'histoire d'une jeune femme, Tomoko, qui va être retrouvée par le fantôme de son mari, Yusuke, porté disparu et possiblement emporté par les vagues. Celui-là n'est pas un fantôme comme les autres (...et puis quels autres ?). Tout d'abord parce qu'il va partir en voyage avec sa triste compagne, au travers de paysages japonais déjà foulés par le défunt homme depuis sa disparition et sa résurrection. Et puis parce qu'il est d'une matérialité rare, si bien qu'il discute volontiers avec ceux qui l'entourent (ou ceux qu'il entoure, comme c'est un fantôme) et n'apparaît pas uniquement pour la femme qui l'aimait.
La question que semble poser ce film semble aisément en découler : Qu'est-ce qui fait la singularité de ce fantôme ?
Cette histoire, présentée comme telle dans le film, est clairement fantastique, voire féérique car la présence de morts dans le monde des vivants ne semble troubler personne, passées les 15 premières minutes. C'est d'ailleurs plus un étonnement de voir revenir son mari, qu'elle sait mort, sans corps, plutôt que d'une frayeur : cette phrase symptômatique du personnage de film japonais qui rencontre une vieille connaissance apparaît ici encore. "Ah, te voilà" [quelque chose comme "Okaerinasai", un mot de "bienvenue" sous forme impérative], comme si on ne l'avait pas attendu trois ans, réduit à un simple enfant à qui on dirait de rentrer bien vite. Comme si quelque chose manquait à ce deuil.
La véritable histoire de ce film n'est pas un parcours guidé par l'amour. C'est une histoire de quête, de mémoire et de deuil, centrée sur le personnage féminin qui est par ailleurs prof de piano, tiraillée des les premiers instants du film non véritablement par les critiques de sa pédagogie mais par un manque. Encore une fois, ce n'est pas un manque d'amour, une véritable solitude qui la traverse alors, mais bien une volonté de savoir ce qui n'a pas été élucidé. C'est pourquoi la solitude est rangée au second plan par le simple fait que le fantôme la suive et l'emmène vers la vérité.
Ce départ, avec le mari, ne peut donc qu'être métaphorique pour être réaliste. Elle va se mettre sur les quelques traces du passé de son mari, de ses quelques secrets nés pendant ses trois ans d'absence, et aussi bien d'avant, ceux enfouis par une fidélité et un amour immuable d'autrefois. Elle est finalement seule et avide de savoir, enfin prête à comprendre. Ce qu'elle trouvera sur son chemin ne sont que des souvenirs, des esquisses d'un passage... Même ceux qu'elle rencontre ne s'adresse jamais qu'à elle, bien qu'ils voient aussi le fantôme du mari. Ce fantôme est un souvenir. Quand ils regardent la femme, ils pensent inévitablement au mari en tant de souvenirs auxquels ils ont été impliqués qui refont surface. Quant à Tomoko, elle n'est que guidée par les souvenirs qu'a pu laisser son mari : sa présence matérielle n'est que mentale.
C'est peut-être dans cette complexité de définir cette subtilité que se situe l'aspect intéressant du film de Kurosawa et qui lui a valu le prix de la mise en scène de la sélection "Un Certain Regard" de Cannes. Cette mise en scène qui, en plus d'être touchante et émouvante même pour les moins sensibles d'entre-nous, est originale. Les fantômes, d'apparence aussi vivante que les vivants eux-mêmes, constituent leur présence dans ce film que comme métaphore d'un souvenir et d'un deuil dont on ne saurait s'émanciper. Dans Vers l'autre rive, une image traduit ce qui aurait dû être un long discours fait de discussions redondantes d'endeuillés sur leurs proches défunts. Et c'est aussi pour cela que nous ne voyons pas qu'un seul mort, Yusuke, parmi les vivants, mais plusieurs morts, qui errent en attendant la compréhension et l'acceptation de leurs familles pour disparaître.
Le zombie/fantôme du film "calme" japonais est celui qui erre dans une attente, non plus pour manger les vivants, mais justement pour ne plus les ronger et les laisser vivre encore. Il se situe non dans un tiraillement intérieur singulier mais dans l'inconscient collectif formé par les souvenirs et les discussions. Et puis, comment ne pas apprécier la figure d'humaniste qui se dessine dans la découverte de Yusuke par la quête de sa femme ? Livreur de journaux ; instituteur pour villages paumés ; cuisinier avide d'apprendre... Il n'est point étonnant que les femmes délaissées soient frustrées devant tant d'héroïsme. Mais tout héros moderne finit par mourir, il va falloir les oublier.
Quelle conclusion foireuse.