Véritable usine à rêves depuis presque 30 ans, Pixar a fait des sorties estivales de ses long-métrages une habitude immanquable. Après quelques films en demi-teinte, le studio a mis les bouchées doubles pour accoucher de Vice-Versa. Pas de monstres, de jouets ni de poissons ici, mais la visite, étrange, fascinante et émouvante, du cerveau d’une petite fille.
A lire sur Cultiz
L’attente fut longue pour pouvoir goûter de nouveau aux talents des animateurs de chez Pixar. Deux ans, pour être précis, pendant lesquels la concurrence a pu se faire une place de choix. L’année dernière, le paysage de l’animation américaine s’est vu marqué par le resplendissant Dragons 2, l’inventif Lego ou encore le très discret La Légende de Manolo, tandis que Disney et son médiocre Les Nouveaux Héros se chargeait de récolter les entrées et les récompenses. Cette absence devait être l’occasion pour Pixar d’effectuer un retour en force suite à des productions en demi-teinte. Après la réussite de Toy Story 3, le studio avait en effet enchainé les déceptions : l’inutile Cars 2, le « plus Disney que Pixar » Rebelle ou encore le trop balisé Monstres Academy. Des films brillant par leurs qualités techniques mais ne parvenant pas à fournir ce qui fit autrefois la gloire du studio : de la créativité, de l’émotion et de l’intelligence. La nouvelle œuvre de Pixar était donc attendue au tournant, pour l’originalité de son concept et ses promesses de retour au niveau d’antan.
Vice-Versa raconte l’histoire de Riley, une petite fille tout ce qu’il y a de plus normale, vivant une enfance heureuse dans son Minnesota natal aux côtés de parents aimants et d’amis dévoués. Mais tout bascule lorsque la famille est contrainte de déménager pour s’installer à San Francisco, plongeant la jeune héroïne dans une période de trouble et de doutes. L’originalité du film est de nous faire voyager à travers l’esprit même de la petite fille en faisant de ses cinq émotions primaires (Joie, Tristesse, Peur, Colère et Dégoût) les véritables personnages principaux. Tous les changements dans la vie de Riley sont donc vécus au travers du centre de contrôle cérébral au sein duquel les personnifications de ses différentes émotions décident des actions à entreprendre.
Le concept du film n’est pas neuf mais demeure suffisamment rafraichissant au sein du paysage de l’animation grand public et, surtout, est une belle occasion pour la firme à la lampe d’aborder toute une série de thématiques avec talent et inventivité. Les craintes que l’on pouvait avoir quant à la qualité des productions Pixar actuelles sont balayées dès les premières minutes du film, alors qu’on est introduit à la fois au personnage de Riley, et à ses émotions, une par une. Le film, sous la tutelle du réalisateur Pete Docter (déjà derrière Monstres et Cie et Là-Haut) parvient très vite à créer un vrai attachement à la fois pour le personnage principal et pour ses cinq voix internes. L’interaction entre « l’intérieur » et « l’extérieur » est constamment de mise, chaque décision prise par les émotions a un effet direct sur le comportement de Riley, donnant lieu à des scènes tantôt inventives et drôles (la savoureuse séquence du dîner), tantôt véritablement touchantes.
Le reste du film prend une forme plus classique de film d’aventure, alors que Joie et Tristesse se retrouvent perdues au cœur du cerveau de Riley et doivent naviguer entre les différentes parties de son esprit pour revenir au centre de contrôle. On aurait pu craindre une baisse dans la puissance du récit à l’instar d’un Là-Haut, où la sublime première demi-heure était suivie par une partie centrale nettement plus anecdotique. Ce n’est heureusement pas le cas, ici toutes les péripéties ont un intérêt, et surtout un sens. La rencontre avec l’ami invisible, la visite du pays de l’imagination ou encore de la fabrique des rêves, sont autant de passages terriblement ingénieux dans la manière dont ils illustrent tous les troubles intérieurs d’une fillette en passe de devenir adolescente. Le film est rythmé, et également très drôle : si certains gags à base de slapstick sont clairement destinés à un public très jeune, d’autres sont nettement plus élaborés et ne parleront pleinement qu’à des spectateurs plus âgés. Ce qui manque à cette partie aventuresque, c’est peut-être une touche d’ambition visuelle. La direction artistique est agréable, colorée et parfois inventive, mais manque du sens de l’ampleur et de l’émerveillement caractérisant par exemple un Monde de Némo, qui plaçait ses personnages dans des situations toujours plus démesurées. Dans le même ton, la partition de Michael Giacchino n’atteint pas le niveau des précédentes productions du compositeur chez Pixar, comme Les Indestructibles ou justement Là-Haut.
Mais Vice-Versa demeure l’un des films les plus finement écrits du studio, et le prouve dans un acte final déchirant, où l’ingéniosité développée jusqu’alors sert un vrai propos, à la fois d’une grande maturité et amené très simplement. La fin est sans doute l’une des plus belles qu’ait pu offrir Pixar, aux côtés des Toy Story 3 ou Wall-E, où les thèmes chers au studio de la nostalgie du passé liée au besoin d’avancer s’entremêlent de nouveau. C’est un peu cela qui nous manquait finalement : de l’émotion pure et sincère et une vraie richesse thématique, le tout au sein d’un divertissement familial accessible rondement mené.
Vice-Versa est le vrai retour du studio Pixar tel qu’on l’attendait. Le film renoue avec l’intelligence et la sincérité qui ont fait les grandes heures du studio, même s’il lui manque sans doute un poil d’ambition dans la direction artistique pour oser se classer parmi les meilleures œuvres pixariennes. Cela ne l’empêche pas d’être une véritable bouffée d’air frais, qui rassure quant aux capacités d’un studio qu’on croyait définitivement à la dérive. Reste à espérer que la firme à la lampe maintienne le cap au sein d’un planning de sorties surchargé de suites (Toy Story 4, Le Monde de Dory, Cars 3 et Les Indestructibles 2, rien que ça). En attendant, le prochain Pixar sort déjà cet automne et parlera de dinosaures.