Vice-versa 2
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Vice-versa 2

Long-métrage d'animation de Kelsey Mann (2024)

“Dans le palais des émotions il y a beaucoup de chambres.”

Citation d’Antoine Audouard


Le dépôt de bilan du célèbre studio d’animation Gainax en mai 2024 nous a bien appris une chose : le nom du studio est bien moins important que les crédits du film. Pixar est nom de prestige, sans doute le plus grand studio d’animation des années 2000. Pourtant, depuis 4/5 ans, on peut se demander si Disney (qui a racheté Pixar en 2006) ne cherche pas à couler l’image de marque impeccable du studio qui leur a permis de se relever de leur traversée du désert entre la fin des années 90 et Raiponce. Entre sorties sur Disney+ de certains de leurs long-métrages pour promouvoir la plateforme et logique de produire des suites (ou des films dans le même univers) pour stabiliser les rentrées d’argents, il est important de comprendre que la dynamique a changé. On ne fait plus face au Pixar des grandes années, mais à un Pixar diminué (-15% de leur effectif depuis l’échec de Buzz l’éclair) et sous la tutelle de la firme aux grandes oreilles. C’est dans ce contexte qu’apparaît Vice Versa 2, qui existe plus pour capitaliser sur un des plus grands succès récents de la firme que par envie de Pete Docter d’approfondir les thématiques du film. Ce n’est d’ailleurs pas lui qui s’occupe du film, abandonnant la réalisation et la scénarisation pour se cantonner à la production. La réalisation a été donné à Kelsey Mann dont c’est le premier long métrage et la scénarisation à Meg LeFauve a qui on doit…Captain Marvel. Rien de rassurant, et pourtant…


Pourtant Vice Versa 2 n’est pas un film fainéant. Au contraire même il fourmille d’un plein d’idées. En reprenant l’ouverture de Pete Docter sur le fait de faire rentrer Riley dans l’adolescence, le film retrace donc les 48 premières heures de la puberté son héroïne se passant durant un stage de hockey sur glace. Le premier changement montré étant des émotions plus extrêmes et moins espacées dans le temps. A cette occasion, le film étoffe la fausse bureaucratie de l’esprit comme la prison des souvenirs ou le jardin des croyances en plus de modifier des zones que l’on connait déjà comme la zone des rêves. Par cela il offre même de nouvelles règles de son monde en faisant entrer en jeu les croyances qui se placent au-dessus des émotions, se basant sur les souvenirs pour définir la personne que Riley est en train de devenir. Si Vice Versa 2 est inventif c’est aussi sur le plan de sa réalisation et de son animation. Sans non plus rattraper les animateurs de Sony et leur 2 films Spiderman animés (qui sont les meilleurs en termes d’animation aux Etats-Unis, voir, dans le monde), Vice Versa 2 se dirige, lentement et conventionnellement vers un rendu Ninja Turtles - Teenage years (à petite dose, on parle plus d’un test) avec le jeu de la banane à outils. D’ailleurs il est compliqué de ne pas voir la référence avec la série « La Maison de Mickey » que Vice Versa 2 utilise pour casser subtilement le 4eme mur. Ne tournons pas autour du pot, il faut bien sûr parler des nouvelles émotions : Anxiété, Envie, Embarras et Ennuie, fers de lance de cette suite qui joue sur l’audace d’émotions plus complexes (plus en lien avec l’adolescence) et qui sont là pour offrir un vent de fraicheur au film. Enfin, le thème central de l’œuvre, en continuité avec le premier film (ou joie apprends que les émotions multiples permettent à l’être de se construire), qui stipule que les souvenirs qu’ils soient bons ou mauvais permettre à l’être de construire son identité. Il ne faut pas chercher à créer l’être parfait mais juste un être, qui vit. Et là c’est le moment ou je devrais conclure en disant que Vice Versa 2 est un très bon film qui fourmille d’un plein d’idées. Sauf que non.


Vice Versa 2 fourmille d’un plein d’idées, d’un trop plein d’idées même. Si bien qu’on ne sait plus quoi penser, ou ressentir. Vice Versa 2 cumule les idées qui s’entrechoquent et se combattent pour arriver à la fin sans qu’aucune n’ait réussi à prendre le pas sur les autres. Ce qui donne l’impression désagréable que le film n’aboutit pas voire qu’il ne raconte rien. Certaines innovations rentrent même en contradiction avec la fabrication du monde. Notamment le gouffre du sarcasme, qui ne trouve pas d’autres intérêt que bloquer nos personnages et rallonger la quête. Le surplus d’idées cause même des contradictions au sein de l’œuvre, comme l’augmentation de la sensibilité de la machine à émotions qui n’est jamais réutilisée après le moment où elle est introduite. Les nouvelles émotions, outils marketing incontournables sont finalement sous-utilisées. Hormis Anxiété, ils occupent plus une fonction d’exposition qui bouffe du temps place aux 5 émotions originelles. Pourtant il n’aurait pas été compliqué de montrer l’anxiété comme un « bug » de la machine (et de supprimer les autres) qui empêche les émotions de faire leur travail, ce qui aurait été en rapport avec l’idée de la fugue du premier film (mais encore une fois c’est plus un outil marketing qu’autre chose). Trop d’idées c’est aussi plein de chose à montrer et peu de temps pour les rendre crédibles et lier le tout. Ainsi, même si le film dure plus longtemps que le premier, le rythme endiablé donne l’impression qu’il n’a duré qu’une cinquantaine de minutes tout au plus. Il faut dire aussi que l’on ne suit plus 2 histoires parallèles mais 3. Des histoires en plus beaucoup plus tracées, beaucoup moins ouvertes. En témoigne le cadre, ce n’est plus un moment de vie mais 48h dans un espace au interactions restreintes, ce n’est plus un objectif de rentrer flou qui vont permettre de développer les personnages. Ils se contentent au contraire d’aller du point A au point B de manière limite robotique, paradoxalement sans émotions.


Au début de cette critique j’ai dit que le film n’était pas fainéant. J’ai menti. C’était la moindre des choses de la part de Meg LeFauve d’édulcorer son scénario pour offrir au film des moments de répit, pour ne pas laisser penser qu’il a juste déballé les idées non utilisées du premier film. Le cinéma est un art où le scénario est infiniment moins important que la manière dont on l’exécute. Dans le cas de Vice Versa 2, c’est bien pire que de ne juste essayer de perdre le spectateur en le gavant d’informations inutiles. L’émotion nait souvent du silence, de moments de suspensions, d’images. De ce moment où les films prennent le temps de questionner les spectateurs sur ce qu’ils regardent. C’est ce qui se passe quand Riley nait ou s’enfuit dans Vice Versa. Vice Versa 2 ne laisse pas le temps de digérer une idée qu’il est déjà passé à la suivante. Surtout avec une réalisation souvent triste, cantonné à regarder des personnages parler et à ne pas voir le monde à l’intérieur de la tête de Riley. Cette façon de faire est aux antipodes de ce que propose Pixar qui se base sur une ou deux idées développées tout au long de l’œuvre. Ici même le thème principal passe en parti à la trappe. Le caractère trop parfait de Riley ne lui pose aucun problème. On ne comprend même pas cette conclusion de fin visant à lui faire accepter ses défauts. Tout ça parce qu’à l’image de Riley, Vice Versa 2 a abandonné les émotions pour laisser place à un rythme aussi anxieux que son personnage principal.


Malheureusement, cette anxiété cinématographique a aussi terrassé sur son passage la poésie intrinsèque et merveilleuse de l’œuvre originale. Et si la poésie et les émotions ont pris le large, que reste-il ? Que reste-t-il à part l’analyse chirurgicale d’un cadavre froid, balancé ici par Disney pour honorer son agenda au détriment des émotions, pourtant censées être célébrées par le film ? Vice Versa 2 n’est pas le pire film des studios Pixar, mais il est celui qui m’attriste le plus. Soul nous rappelait la tristesse de ne plus voir Pixar en salle. Vice Versa 2 salit le travail de l’immense Pete Docter pour annoncer que Pixar quitte le cinéma.


"Je ne sais pas comment arrêter l'anxiété. Peut-être que c'est ce qui arrive quand on grandit, on ressent moins de joie".
Lyonor

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