Vice-versa 2
6.8
Vice-versa 2

Long-métrage d'animation de Kelsey Mann (2024)

Il serait peu dire que le cinéma a vécu de sévères bouleversements, dû en grande parti à l'avènement des plateformes et d'une nouvelle manière de "consommer" les films. D'un côté, il y a eu l'avènement des plateformes de streaming, et une évolution des mentalités chez certains studios qui ont adapté leurs visions à ces nouvelles plateformes. De l'autre, des studios se sont démarqués à travers une volonté de préserver un libre arbitre face à une façon nouvelle de voir le cinéma. On pourrait penser que les plateformes de streaming ont fracturées Hollywood, mais en réalité, elles n'ont fait qu'agrandir une fracture déjà présente. L'un des domaines où c'est le plus perceptible reste le marché du cinéma d'animation, et en particulier la rivalité qu'ont pu entretenir certaines majors. Disney a historiquement mis en avant une vision commerciale et traditionaliste du cinéma, invitant souvent à un repli sur soi et à une préservation d'un certain statu quo. Cela a conduit le studio à s'intéresser aux plateformes de streaming et à se "radicaliser" dans la manière de raconter des histoires. Ces derniers, à l'image de Strange World, de Raya and the last Dragon ou bien du controversé Wish, le studio Disney a affirmé une volonté de rassembler le plus grand nombre devant un "divertissement Disney". De l'autre côté, il y a Dreamworks qui, depuis les années 1990, a toujours développé une démarche mettant en avant une prise de conscience de la réalité, et d'une affirmation de sa marginalité face à une société (très souvent disneyenne) qui cherche à tout uniformiser (notamment pour une forme de divertissement non noble). C'est ainsi que le studio, dès les premières radicalisations du style disneyen, va proposer des films qui vont mettre en avant un nécessité de prise de recul avec un retour de principes (ancestraux venant du contes) qui poussent à une avancé en avant. C'est ainsi que seront réalisés des films comme Les Bad Guys ou même Chat Potté 2. Entre les deux, partagé entre ses origines historiques et des ententes avec Disney pour la distribution de leurs films, Pixar a essayé de proposer une alternative qui, durant cette période de changement, s'est retrouvé à devoir prendre parti. Malgré que le studio soit une propriété Disney, cela n'a pas empêcher la sortie de films, comme Élémentaire ou Luca, développant des visions d'auteurs, et de revendiquer un ras le bol de la vision parfois étriqué et réductrice que peut avoir le studio mère. On peut alors être intrigué face à l'arrivé de suites d'univers pré-établis comme Inside Out 2 qui, sur le papier, semble vouloir retourner vers des propositions Disneyenne (comme Lightyear ou Toy Story 4) et plus axé sur une exploitation du catalogue en vu d'une exploitation du divertissement... pour quel résultat ?


Si j'ai pris le temps de faire cette introduction un peu lourde, c'est que tous les enjeux du film reposent essentiellement sur une quête de stabilité, qui prend forme à travers les différentes évolutions physiques et morales de Riley dans ce second opus. Les principaux enjeux résident en une prise de conscience du temps qui passe et de la nécessité d'évolution. C'est parfois dis de manière subtile à travers les différents dilemmes rencontrés par Riley durant son stage de hockey, souvent dans une logique binaire où Riley devra choisir entre avancer ou préserver ce qui fait d'elle ce qu'elle est. Mais le plus souvent, le film est assez grossier dans son exposition, allant jusqu'à faire dire à Joie face caméra avec un air dur "Quand on grandit, on change, c'est irrémédiable". Il est alors question de chercher comment évoluer, et confronter deux visions qui ont rythmé la philosophie Pixar, entre la vision contemporaine et uniformisée de Disney, et la vision plus artistique et marginal de Dreamworks. On peut alors voir, en l'arrivé d'une nouvelle équipe d'émotions, une manière de confronter deux visions du monde. Cette confrontation l'illustrera même de manière direct et méta lors d'une scène se déroulant dans le cortex de l'imagination, où des animateurs vont pour prendre parti d'un camp plutôt qu'un autre, entre Anxiété qui veut prédire l'avenir, et Joie qui veut avant tout le bonheur de Riley. Cependant, cette confrontation est voué à ne jamais vraiment aboutir, car il est avant tout question de réconciliation et de compromis. Le soucis étant que ces compromis viennent à l'encontre de la diégèse du film. Les nouveaux personnages viennent à être très confus en comparaison des personnages installé dès le premier film, et arrivent à agir de manière parfois déraisonné, souvent pour justifier la situation dans laquelle se trouvent "les anciennes émotions". Plus que les personnages, c'est tout le propos de fond du film qui semble assez confus, car voulant porter un propos abstrait sur un sujet bien concret.

Alors que tout le film se veut comme une quête pour retrouver l'identité de Riley, remplacé par l'arbre constitué par Anxiété, comment doit-on interpréter le climax final ? Il faut se construire une identité en épousant toutes les expériences que l'on a vécu, même les plus insignifiantes ? Donc pour se construire et avancer, il faut avancer vers l'avenir en prenant soin de toujours regarder vers le passé, et de faire en sorte que tout soit pareil malgré les bouleversement ? Mais alors pourquoi le film donne l'impression de vouloir aller de l'avant ? Sans même parler de la cohérence avec la saga qui est mal mené de bout en bout rien qu'à travers l'arrivé de nouvelles émotions qui n'apportent presque rien, c'est toute la cohérence du film qui est mis à mal. Le film veut tellement concilier toutes les visions que le scénario élabore laborieusement une excuse disant que Riley est l'addition de différentes facettes construite avec ses différentes expériences vécus, tout ça pour ne pas dire "Je suis Riley". La raison étant que le film n'a sans doute pas envi de mettre en avant une forme d'individualité, et qu'entre Disney et Dreamworks, le film cherche à trancher malgré son propos d'apparence. En effet Riley change, Joie évolue et conserve tous les souvenirs au lieu de les jeter... mais est ce que c'est vraiment une évolution ? Est ce que ce n'est pas exactement la même finalité que le premier film ? Malgré l'arrivé de nouvelles émotions, est ce qu'on ne serait pas encore au même point de départ ?

Le plus gros problème du film est qu'à force de vouloir proposer une alternative pour fuir l'évolution (alors que l'on parle du mental d'une adolescente en pleine crise d'adolescence), le film peine à cacher le manque d'enjeux. Dès le début du film, les émotions sont spectateurs de Riley, réagissant plus qu'ils n'interviennent, laissant présager de certains dénouements du film. Tout le film se construit autour du fait que Tristesse et Joie ont déjà fait l'aventure qu'entreprennent l'ensemble des "anciennes émotions", allant au même endroit, perpétuant la même aventure que dans le premier film pour, au final, apprendre les mêmes notions d'acceptation. On pourrait se dire que cela vient dans une volonté de revenir aux bases, tout comme les films Dreamworks ont pu avoir besoin de revenir aux fondements des premiers récits en animation. Pourtant, paradoxalement, le film montre un rejet violent quant à l'idée de se remémorer le passé, à l'image de Nostalgie et des différents souvenirs de l'enfance de Riley, qui sont limités qu'à quelques apparitions sporadiques sans influencer le récit, au prix de propos intéressant et pertinent sur la nécessité de se référer au passé pour mieux avant... ce qui est finalement la morale même du film, mais que celui-ci ne semble pas prêt à assumer pleinement. En résulte un film inoffensif, car ne voulant pas prendre parti sur les différents sujets qu'il met en scène, et finissant par reproduire le premier film avec moins de pertinences et de cohérences. Pourtant, je n'arrive pas à m'enlever de l'esprit un arrière fond mal-honnête qui bloque Riley dans son développement et sa quête d'identité qui, en fin de compte, à l'image du film, parait artificielle et vide d'intérêt.


9,75/20


N’hésitez pas à partager votre avis et le défendre, qu'il soit objectif ou non. De mon côté, je le respecterai s'il est en désaccord avec le miens, mais je le respecterai encore plus si vous, de votre côté, vous respectez mon avis.

Youdidi
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le 16 juin 2024

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