Alors que le plan-séquence bidonné d'un 'Birdman' passionnait les cinéphiles (mais pas les foules si l'on en croit ses entrées) à partir d'une histoire sans intérêt et nombriliste, 'Victoria' s'impose comme son antidote. Véritable plan-séquence réalisé sans trucages, le film étire ses 2h25 sans faillir et nous emmène avec lui, le spectateur devenant un protagoniste de plus qui ne quittera jamais les personnages principaux. Ici, pas de mise en abyme du cinéma sur lui-même, mais un essai de réalisme vibrant pour un polar qui ménage ses tensions dramatiques.
C'est une véritable prouesse que réalise ici Sebastian Schipper, auteur de l'excellent 'Absolute Giganten' introuvable chez nous et diffusé par Arte il y a quelques années. Mélange de préparation dantesque et d'improvisation, 'Victoria' impressionne à tous les instants quand on sait que le montage n'interviendra à aucun moment, même si l'attention du spectateur se relâche forcément lors de certaines scènes. Un film sans montage, c'est un peu comme quelqu'un qui ne cligne jamais des yeux : distrayant. D'où ces petits moments de flottement, vite effacés par l'incroyable naturel des acteurs. A commencer par Victoria, incarnée par Laia Costa, une jeune Espagnole en séjour à Berlin. A la sortie d'une boite de nuit, elle rencontre une bande de copains, des types un peu bourrés mais sympas, avec qui elle décide de prolonger la nuit encore quelques minutes dans la rue ou sur le toit d'un immeuble.
Des séquences d'introduction parfaitement menées, où le cinéaste gagne haut la main son pari du réalisme. Contraint de ne jamais quitter ses comédiens, Schipper a réduit les distances entre les lieux de l'action, assez nombreux, qui remplissent le rôle du montage. En changeant de décor, les personnages ajoutent une corde émotionnelle à leur arc, altèrent la qualité de leur relation, comme si le temps passait plus vite. Pleine de spontanéité et de joie de vivre au début, Victoria laisse peu à peu entrevoir des failles, un côté sombre qui cache aussi une vive intelligence et une sensibilité poétique. Porté par son actrice, elle évolue alors à une vitesse folle, se révélant totalement au fil des deux heures et demie pour traverser les épreuves comme une reine. On pourrait en dire autant de chacun des personnages, Sonne, Blinker ou Boxer, les trois amis qui vont eux aussi devoir faire des choix drastiques.
Tourbillon éblouissant, l'histoire de 'Victoria' ne s'arrête pas à sa projection. C'est aussi l'intérêt ici du plan-séquence, parenthèse dans une vie qui continue.