Un plan séquence de 2h15.
Le projet avait de quoi nous exciter.
Moi qui avait été littéralement scotché par la prestation technique d'un Birdman plus tôt dans l'année me suit donc engouffré tout heureux dans la salle noire, pour en sortir lassé deux heure quinze plus tard.
En effet le réal' allemand n'atteint ici jamais la justesse d'un Inarritu ou d'un De Palma et ne donne à son plan séquence que le concept, l'idée. Certes, si l'on prend la définition du plan séquence, celle-ci colle bien à celui du film. Mais si l'on dépasse le théorique pour atteindre le pratique on voit bien que celui proposé dans ce Victoria n'a rien à voir. Lorsque l'on pense plan séquence on pense à une caméra qui suit de manière presque pathologique son personnage principal et qui glisse de la manière la plus stylisée qui soit à l'aide de travelling ou encore de steadycam. Ainsi on pense aux dédales de couloirs du Shining de Kubrick, à l'ouverture chef d'oeuvresque du Snake Eyes de De Palma ou encore à la fameuse visite du restaurant des Affranchis de Scorsese. La caméra se fait oprressante, les lieux "dédalesques", le tout est irrespirable et parfaitement puissant.
Or ici, Sebastian Schipper se rapproche des frères Dardenne dans cette façon très mouvementée de coller au plus près au personnage. Si l'ambition est honorable, le tournage sûrement passionnant et le montage assez aisé, il n'en reste pas moins que le film est esthétiquement laid.
Les éclairages, "naturels" ou en tous cas non créés pour les besoins du film, donne à l'image une laideur totale accentuée par le mouvement presque vomitif de la caméra, brusque et souvent approximative qui semble se foutre de l'idée de netteté.
Outre passé cet aspect du film (qui néanmoins ne fustigeons pas l'oeuvre entière, propose quelques trouvailles visuelles plaisantes) il reste à étudier ce qu'on y voit durant ses fameuses 2h15.
Et bien si l'histoire sur le papier a l'air alléchante, elle prend à l'écran une toute autre dimension.
Et peut se diviser en trois parties.
La première nous montre les errances de Victoria et de son petit groupe de compagnons berlinois fraîchement rencontrés au sortir d'une boîte de nuit du centre ville. Si les personnages sont attachants, les situations n'en demeurent pas moins assez rébarbatives. Restent quelques scènes, très jolies, qui viennent éclairer un peu cette partie du film beaucoup trop longue et bavarde. Le caractère joyeusement bordélique et improvisé du film rajoutée à l'idée de captation sauvage, donne un vrai vent de fraîcheur et de jeunesse à dette virée nocturne festive et débridée qui reste toujours bienveillante et heureuse et ne sombre jamais dans une noirceur qui nous fait imaginer le pire.
D'où la claque prise dans la seconde partie.
Si la première se faisait assez légère et un peu trop longue, la seconde quant à elle nous plonge dans le renversement tant attendu. Profitant d'une ultime jolie scène de transition au café, le trajet en voiture, long et pesant, fait de non dits, instaure progressivement son ambiance angoissante. Si, et c'est sûrement volontaire, la simulation de braquage dans le parking se fait bien plus glaçante et violente que ne l'est le réel braquage, c'est pour mieux souligner l'aspect têtu du film qui s'assume comme ne quittant jamais Victoria. Même si la caméra se permet des écarts de quelques mètres, jamais elle ne quitte totalement son personnage principal, quitte à frustrer et angoisser le spectateur.
Une ultime scène de club, trop joyeuse pour être anodine, vient clôturer cette deuxième partie, brillante dans la forme et dans l'idée.
Mais la troisième et dernière partie, vient en quelques sortes faire couler le film. Et c'est bien dommage.
En effet, ce que l'on avait tendance à considérer, à tort, comme une petite crapulerie de jeunes bourrés, semble se faire affaire d'état. On ne rigole plus. Et on se prend très et même trop au sérieux.
Fusillades, morts, prises d'otages, plans d'évasion, on n'échappe à rien dans cette partie qui se fait bien trop tragique et héroïque pour sembler crédible.
Le tout se clôt bien trop longuement par une ultime scène de bave et de pleurs tristement pitoyables qui donnent un aspect très mélo et prétentieux à ce film qui dans ses deux premières parties semblait se faire assez généreux.
Lorsque Victoria quitte enfin cette tragique histoire et qu'à l'image de Stonne le plan séquence nous montre son ultime agonie, le tout sur la musique très réussie de Nils Frahm on se dit tout de même :
"Putain et tout ça en deux heures quinze seulement ?"
Et l'on en vient à conclure que cette Victoria est tout de même assez conne et manipulable pour se laisser embarquer la dedans et que le plan séquence n'a aucunement donné l'effet d'en avoir été un.
Effet atteint ? A voir.

Charles Dubois

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